La zone euro a une gouvernance insoutenable

La crise politique italienne pose à nouveau la question de l’avenir de l’euro. Elle met en évidence deux problèmes fondamentaux qui n’ont toujours pas reçu de solutions et qui nécessiteront une révolution dans la gouvernance de la zone euro. Sans quoi cette monnaie n’aura pas d’avenir.

Tout d’abord, dans une union monétaire, la perte de compétitivité d’un pays se traduit presque toujours par une réduction du niveau des salaires par rapport à ses partenaires. Ce mécanisme, que les économistes appellent une « dévaluation interne », est douloureux. Afin de réduire les salaires, les autorités des Etats touchés instaurent des politiques déflationnistes qui poussent ces pays dans la récession et le chômage, et un grand nombre de leurs habitants dans le désespoir. Avec les retombées politiques qu’on observe aujourd’hui en Italie.

Le problème est que cet ajustement est asymétrique. Les pays en perte de compétitivité, et donc en déficit commercial, sont forcés à ces politiques et en subissent les coûts économiques et sociaux, alors que les pays en gain de compétitivité et en surplus commercial ont jusqu’à présent refusé de faire leur part de l’ajustement en stimulant la demande interne (par des investissements publics, par exemple) qui aurait entraîné une « réévaluation interne », c’est-à-dire une hausse plus rapide des salaires et des prix que dans les autres pays et donc une réduction du coût d’adaptation des pays en difficulté.

Responsabilité partagée

Mais au nom d’une philosophie de rigueur, les pays en surplus ont fait le contraire. Ils se sont lancés eux aussi dans l’austérité et, ce faisant, ont créé une zone monétaire déflationniste qui maximise les coûts économiques et sociaux des ajustements. C’est une mauvaise nouvelle pour l’union monétaire, car elle concentre beaucoup de souffrances dans un nombre limité de pays.

La responsabilité des déséquilibres macroéconomiques dans la zone euro est presque toujours une responsabilité partagée. La perte de compétitivité des pays « périphériques » est un gain de compétitivité des pays du « centre ». La responsabilité du rééquilibrage doit donc aussi être partagée. On en est loin.

Le deuxième problème existentiel provient de l’instabilité des marchés d’obligations d’Etats dans la zone euro. Les gouvernements des pays membres sont obligés d’émettre leur dette en euro, qui, du point de vue de chacun d’eux, est de facto une monnaie étrangère, sur laquelle ils n’ont aucun contrôle. Il en résulte qu’aucun d’eux ne peut garantir aux détenteurs de cette dette qu’ils seront remboursés à échéance, ce qui rend possible une situation où le souverain se trouve sans liquidités. Un gouvernement qui émet sa dette dans la monnaie nationale ne peut en effet pas être poussé dans l’illiquidité par les marchés, car il est soutenu de façon inconditionnelle par la banque nationale et peut toujours émettre les liquidités nécessaires au remboursement de ces créanciers.

L’absence de soutien inconditionnel des gouvernements de la zone euro par la Banque centrale européenne (BCE) rend possibles des mouvements spéculatifs auto-validants. Quand les investisseurs craignent un manque de liquidités d’un gouvernement, ils en vendent les titres et achètent des titres émis par les gouvernements perçus comme moins risqués, ce qui entraîne de vastes mouvements de capitaux spéculatifs déstabilisants pour les systèmes financiers.

Un grand bond en avant

La BCE a le pouvoir d’arrêter ces mouvements déstabilisateurs. Elle l’a employé en 2012 en annonçant son intention d’acheter des quantités illimitées de titres d’Etats en crise. L’effet a été spectaculaire, arrêtant d’un coup la crise existentielle de la zone euro. Mais cela ne veut pas dire que de telles crises spéculatives ne peuvent plus se produire. L’annonce faite par la BCE en 2012 n’est pas une garantie pour l’avenir. La décision de soutenir ou pas un gouvernement touché par la spéculation dépend entièrement du jugement des « bureaucrates de Francfort »…

Cela pose un problème insoutenable de gouvernance de la zone. La BCE a le pouvoir de sauver un souverain en détresse, mais les souverains nationaux n’ont aucun pouvoir sur la BCE. Ou bien la zone euro fait un grand bond en avant et crée une union budgétaire dans laquelle un gouvernement fédéral émet une dette commune rendue possible par le pouvoir de taxation. Alors un tel gouvernement primerait sur la BCE en temps de crise. Ou bien la zone euro refuse d’aller de l’avant dans l’intégration politique, ce qui semble aujourd’hui être le choix le plus probable. Dans ce cas, une gouvernance insoutenable entraînera la désintégration de la zone euro.

Paul De Grauwe est professeur à la London School of Economics, ancien sénateur du parti libéral flamand Open VLD en Belgique.

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