La zone euro aura fort à faire quand il s’agira de gérer le dossier explosif de la dette italienne

La situation préoccupante de l’économie italienne – une dette explosive (130 % du PIB), une croissance faible (1,2 %) et un taux de chômage particulièrement élevé chez les jeunes (33 %) – et les coûteuses promesses électorales de son gouvernement, rangent désormais ce pays, avec la Grèce, au mieux parmi les mauvais élèves de la zone euro, au pire parmi les bombes à retardement en Europe.

Les risques que représente l’économie de la péninsule pour ses partenaires européens sont suivis avec une réelle inquiétude outre-Rhin. Le débat y fait rage sur le système de paiement européen Target 2. Lancée en 2007, cette plate-forme de paiement de l’euro-système, qui implique à la fois les banques centrales et les banques commerciales, exécute les virements les plus importants entre pays de la zone.

Mais les déséquilibres entre passifs et actifs des banques centrales italienne et allemande creusent actuellement leurs soldes respectifs auprès de la Banque centrale européenne (BCE), notamment en raison des développements politiques récents en Italie. Fin 2018, la Banca d’Italia enregistrait un solde débiteur à la BCE de 482 milliards d’euros – l’équivalent du quart du PIB du pays. C’est la conséquence de la forte hausse des sorties de capitaux du pays depuis 2018. Or ces capitaux se sont notamment reportés en Allemagne, dont la Bundesbank est désormais créditée à la BCE d’un solde faramineux de 932 milliards d’euros.

Risque de responsabilité

Si ce déséquilibre croissant est d’abord perçu comme un révélateur des tensions politiques et des écarts de compétitivité au sein de la zone euro, les spécialistes redoutent qu’il ne dégénère en une crise plus grave. Economistes et hommes politiques allemands craignent que ces transferts financiers massifs créent une dynamique propre, voire menacent la monnaie commune.

Les doutes des marchés financiers sur une éventuelle sortie de l’Italie de la zone euro pourraient accélérer la sortie de capitaux et aggraver la dette Target 2 de la Banca d’Italia. Surtout, le solde créditeur très important de la Bundesbank expose d’autant plus l’Allemagne que, en cas de défaut de paiement de Rome, incapable de régler ses dettes avec une lire dévaluée, la Bundesbank serait obligée d’assumer un important risque de responsabilité.

Dans un tel scénario, l’Allemagne serait, en outre, confrontée à une forte arrivée de capitaux italiens, ce qui aurait pour conséquence d’alimenter l’inflation. Berlin serait obligé d’adopter rapidement une stratégie de crise pour protéger son économie. Cataclysme pour l’Union européenne, la sortie de l’Italie de l’euro et la réintroduction de la lire auraient enfin des conséquences fatales pour l’économie italienne, déjà handicapée par une productivité plus faible, en provoquant l’effondrement des importations et en menaçant sérieusement les banques transalpines, voire le crédit de l’Etat italien.

Déséquilibres sérieux

Qu’ils soient adeptes de la théorie de l’effondrement ou qu’ils croient en la prévalence des marchés, nombre d’économistes estiment que ce sera la réaction des investisseurs, désireux de mettre leurs avoirs à l’abri, qui décidera de l’avenir des systèmes monétaires, comme ce fut le cas lors de l’effondrement du système de Bretton Woods, en 1971. A contrario, d’autres relèvent que de nombreux garde-fous institutionnels et financiers garantissent aujourd’hui la pérennité de la monnaie européenne. Quoi qu’il en soit, les déséquilibres de Target 2 sont jugés à ce point sérieux qu’ils pourraient, à terme, constituer une importante source de tension politique entre pays créditeurs et débiteurs.

Il ne fait en tout cas guère de doute qu’après les élections européennes, la zone euro aura fort à faire quand il s’agira de gérer, outre le Brexit, le dossier hautement explosif d’une dette italienne hors de contrôle. On peut enfin se demander si le surendettement italien, emblématique de l’asymétrie et de la vulnérabilité des politiques économiques divergentes au sein de la zone euro, n’annonce pas la prochaine crise financière…

Dorothea Bohnekamp, économiste et historienne, est maîtresse de conférences à l’université Paris-3 Sorbonne nouvelle.
Holger Müller est économiste en chef d’une société de gestion de patrimoine à Berlin.

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