La zone euro ne peut se réduire à une coopération intergouvernementale

Après le sommet de la zone euro du 21 juillet, le président de la République a écrit aux élus nationaux. Le souci de Nicolas Sarkozy de rester en phase avec les autorités allemandes et sa volonté d'associer les parlementaires nationaux à la consolidation de l'euro méritent d'être salués : l'Allemagne est un partenaire essentiel et le Parlement a un rôle important à jouer pour que soient enfin respectés les engagements de la France en matière de discipline budgétaire. Toutefois, ni le "franco-allemand", ni les institutions nationales ne suffiront à asseoir la légitimité politique de la zone euro. La méthode que la chancelière et Nicolas Sarkozy privilégient soulève trois difficultés majeures.

D'abord, cette méthode n'est pas efficace dans la crise. La contagion gagne du terrain, touchant désormais l'Espagne et l'ltalie. Le plan adopté au forceps, fin juillet, comporte des éléments positifs, comme le droit accordé au Fonds européen de stabilité financière (FESF) d'intervenir sur le marché secondaire. Mais soumis à l'aval de 17 Parlements nationaux, le FESF ne peut pas agir immédiatement, en dépit de l'aggravation de la situation après la dégradation de la note américaine. D'où l'obligation, pour la Banque centrale européenne (BCE), de jouer un rôle qui n'était pas prévu, dangereux pour sa crédibilité.

En optant pour une approche intergouvernementale, M. Sarkozy restreint la capacité de réaction de la zone euro. Il demande aux tiers de croire à l'union tout en sacralisant la désunion. Jamais les fondateurs de la monnaie unique n'avaient prévu que nous en restions là.

Cette méthode n'est pas plus convaincante s'il s'agit de doter la zone euro d'une politique économique. La juxtaposition de politiques nationales favorise la cacophonie. Elle ne règle pas les phénomènes de spécialisation inhérents à une zone monétaire. L'euro a besoin de politiques communes. Et à cet égard, le "franco-allemand" est en panne : la France sape la liberté de circulation (Schengen), ce qui dessert la mobilité du travail ; l'Allemagne opère seule des choix énergétiques majeurs. Les deux pays s'opposent farouchement à la mise en place d'un budget européen digne de ce nom ou encore à l'émission conjointe d'obligations (eurobonds), qui seraient pourtant bien plus efficaces que les rachats de titres sur le second marché.

Nicolas Sarkozy prône la coordination des politiques nationales alors que les dix dernières années en ont montré les limites : les gouvernements nationaux de plusieurs Etats membres (dont la France encore récemment, et même l'Allemagne en 2003) ne se sont pas sentis liés par leurs engagements de discipline budgétaire, ni par les stratégies européennes destinées à accroître la compétitivité.

En proposant "un véritable gouvernement de la zone euro dont la réunion au sommet des Etats doit être l'élément central", le président nous demande de faire confiance à ceux qui, par leur désinvolture, ont largement provoqué la crise des finances publiques et ont échoué à créer la croissance. Les conclusions du 21 juillet vont dans le bon sens, avec le "plan Marshall" pour la Grèce ou l'embryon d'une politique fiscale commune mais, sans changement de méthode, elles rejoindront la longue liste des voeux pieux du Conseil européen.

Enfin, la méthode adoptée pose une question majeure de légitimité. Comment l'Europe, berceau de la démocratie, pourrait-elle se contenter d'un "gouvernement" qui ne serait pas élu en tant que tel, qui échapperait à tout débat public et ne serait contrôlé par aucun contre-pouvoir ?

Un tel ersatz ne mérite sûrement pas ce nom. Si chaque gouvernement de la zone euro est légitimement élu et responsable devant le Parlement national pour sa politique nationale, il n'a aucun mandat européen explicite suffisant pour porter l'intérêt général.

Le philosophe allemand Jürgen Habermas comme l'économiste indien Amartya Sen ont chacun dénoncé la dérive anti-démocratique d'une zone euro réduite à une coopération intergouvernementale. Le respect des partenaires sociaux et, plus largement, de la société civile devrait également dissuader de s'engager sur cette voie. Le risque d'injustice serait d'autant plus grand que le Conseil européen obéit de plus en plus à une logique censitaire : ce sont les Etats les plus riches - voire les mieux classés par les agences de notation - qui imposent leurs vues aux autres.

Ce que vit l'Italie, ces jours-ci, devrait nous faire réfléchir : s'il est normal que les partenaires européens exigent des réformes en contrepartie de leur assistance, la lettre conjointe (non publiée à ce jour) de MM. Trichet et Draghi dictant à Rome un programme de gouvernement, y compris le détail des procédures et du calendrier, suscite en Italie de vives réactions.

Ainsi, le "gouvernement de la zone euro" pourrait bien être soit inefficace, s'il adoptait encore un catalogue de bonnes intentions, soit illégitime et dangereux, s'il instaurait un directoire. Ce dont la zone euro a besoin, c'est de développer progressivement la démocratie par-delà les frontières, en se fondant sur des institutions supranationales et des règles du jeu transparentes. Tel était le projet des pères fondateurs de l'euro. Et même... des pères et mères du traité de Lisbonne.

Il est assez piquant que le président français omette complètement le Parlement européen (PE) alors même qu'en vertu du traité de Lisbonne, conçu à la suite de sa proposition de "mini-traité" de 2007 et rédigé sous la présidence de Mme Merkel, la gouvernance économique européenne ne relève plus désormais de la seule compétence des Etats mais de la codécision (PE, conseil des ministres et Commission).

La gouvernance de l'euro a déjà fait l'objet, à Strasbourg, d'un travail approfondi. Six textes en chantier prévoient notamment un renforcement de la discipline, avec des dispositions spéciales pour la zone euro, et une surveillance macroéconomique beaucoup plus poussée qui devrait, par exemple, permettre de contrôler l'endettement privé, la balance des paiements ou le coût unitaire du travail. Le Parlement a eu à coeur d'accompagner ce contrôle mutuel accru d'un débat public et démocratique plus approfondi (dialogue économique avec les ministres des finances, coopération avec les Parlements nationaux via le semestre européen).

Fin juin, deux Etats ont empêché de finaliser l'accord entre le PE et la présidence hongroise : l'Allemagne, qui persiste à vouloir exclure de la surveillance macroéconomique les pays excédentaires, afin d'y échapper elle-même, et... la France, qui a rejeté la demande du PE - soutenue par la BCE - que les alertes lancées par la Commission européenne contre des Etats sur le point de violer le pacte de stabilité soient adoptées de manière automatique.

Qui croirait pourtant à un code de la route où l'appréciation des infractions serait confiée à un conseil des automobilistes souverain plutôt qu'à des radars automatiques ?

L'Europe a besoin de l'échelon démocratique national comme des impulsions franco-allemandes qui servent l'intérêt général européen. Mais l'Europe a aussi besoin d'Europe. L'ambition de la France, pays où a été conçue la Commission européenne et où siège le Parlement européen, ne peut être de confier l'euro à un avatar de la Société des nations.

Sylvie Goulard, députée européenne Alliance des libéraux et des démocrates pour l'Europe , ALDE.

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