L’académie suédoise a distingué la capacité d’adaptation de l’intelligence humaine

La décision est tombée lundi 9 octobre, le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel (nommé plus couramment prix Nobel d’économie) a été attribué à l’économiste Richard Thaler, rattaché à l’université de Chicago. Cette distinction vient consacrer ses travaux en économie expérimentale où il avait démontré l’existence de biais dans la décision des agents, venant alors rendre caduque l’idée que tout individu serait naturellement un Homo economicus, purement rationnel.

Il écrivait ainsi en 2008 dans son ouvrage Nudge : « Les économistes pensent que les gens ont des cerveaux comme des supercalculateurs qui peuvent tout résoudre, or les esprits humains ressemblent plus à de vieux Mac avec des vitesses de traitement lentes et enclins à des crashs fréquents. » Cette comparaison fait encore plus sens maintenant, à l’heure où notre économie est aux prémices d’une transformation majeure impulsée par l’intelligence artificielle (IA).

Nos émotions, nos habitudes et notre environnement social influencent nos décisions en les éloignant du concept de rationalité. Ainsi, Richard Thaler a notamment théorisé que pour guider les individus vers les bonnes décisions il fallait les inciter à adopter un comportement rationnel, en leur donnant un « coup de pouce ». Cette méthode, appelée Nudge, est une méthode où les individus vont adapter leurs décisions en les comparant avec celles de leurs pairs, pour parvenir à une situation optimale.

Décisions rationnelles et liberté d’agir

Par exemple, aux Etats-Unis, afin de réduire sa consommation d’électricité, une petite ville a décidé de faire comparer à ses habitants leurs factures avec celles de leurs voisins. Résultat, on a pu observer un changement de comportement de la part des habitants, qui ont réduit leur consommation. Les études ont alors montré qu’il aurait fallu mettre en place une taxe de 25 dollars sur la surconsommation pour obtenir les mêmes résultats positifs. Voici donc l’enseignement de Thaler : on peut utiliser les biais décisionnels d’un individu pour corriger ses imperfections tout en lui laissant sa liberté d’agir et le choix d’accepter ou non une situation vertueuse.

En revanche, l’intelligence artificielle, au contraire de la nôtre, est calibrée pour prendre des décisions rationnelles. Les progrès de cette technologie n’ont cessé de se rapprocher des performances humaines, à tel point qu’en 2011 Watson, l’intelligence artificielle d’IBM, remporte un prix de 1 million de dollars, face à des humains, dans le jeu télévisé « Jeopardy ». La dernière opposition marquante reste la victoire d’AlphaGo, développée par Google, face au champion du monde de jeu de go. L’émergence de ce que certains appellent une intelligence « hard », capable de prendre des décisions au même titre qu’un humain, risque encore un peu plus de nous bousculer.

L’influence des émotions

Contrairement aux humains, l’IA n’a pas de biais décisionnel, elle n’est pas influencée par son environnement extérieur ou sa propre culture, et fait par conséquent moins d’erreurs de « jugement » que nous. En plus de cela, elle sera capable de réaliser des performances intellectuelles équivalentes à celles d’un humain, de manière beaucoup plus rapide. Le professeur Laurent Alexandre l’écrit dans son dernier ouvrage La Guerre des intelligences (JC Lattès, 250 pages, 20,90 euros), il faut mille milliards de fois moins de temps pour développer une intelligence artificielle que pour former un doctorant. Combien de temps faudra-t-il alors pour en former une capable de décrocher un prix Nobel ?

De nombreux secteurs économiques ont déjà confié les clés de leur activité à des intelligences artificielles. C’est le cas notamment en finance, où la banque Goldman Sachs a fait diminuer le nombre de ses traders de six cents à… deux en l’espace de seulement dix-sept ans, le trading à haute fréquence étant maintenant assuré par une IA insoumise aux problèmes soulevés par Thaler.

Comment, donc, interpréter le choix de la Banque de Suède de consacrer une thèse faisant la part belle à ce qui caractérise la prise de décision humaine, influencée par les émotions des individus ? Faut-il y voir une déconnexion totale des membres du jury avec le monde d’aujourd’hui, ou une volonté de consacrer la fin d’une époque où la réflexion humaine était au sommet de la chaîne intellectuelle ?

On peut au contraire espérer y voir un signal fort visant à réaffirmer que, même face à l’émergence de l’intelligence artificielle, celle des humains reste et restera la meilleure source de prise de décision. Le discours de Richard Thaler à Stockholm, le 10 décembre prochain, pourrait aller en ce sens.

Par Erwann Tison, economiste à la fondation Concorde.

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