L’accord de retrait ne règle pas de façon pérenne les relations entre l’UE et le Royaume-Uni

La large victoire des conservateurs aux élections générales du 12 décembre a considérablement réduit la probabilité d’une révocation du Brexit. Elle ne permet pas, pour autant, d’écarter complètement le risque d’un no deal Brexit. Certes, au mois d’octobre, Boris Johnson a négocié à l’arrachée avec l’Union européenne un accord de retrait qui fixe une période transitoire jusqu’à la fin de 2020, extensible jusqu’à la fin de 2022.

Cet accord cristallise les droits des citoyens britanniques en Europe et européens au Royaume-Uni et prévoit une solution douanière d’une redoutable complexité, censée éviter le rétablissement d’une frontière « dure » entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord.

Toutefois, encore faut-il, pour éviter un no deal, que cet accord entre en vigueur avant le 31 janvier 2020. Or, pour cela, plusieurs étapes restent à passer. D’une part, le Parlement britannique doit approuver les quelque 115 pages de la loi d’application de l’accord de retrait. D’autre part, et on l’oublie parfois, le Parlement européen doit approuver l’accord.

Or, même s’il a été étroitement associé aux négociations, on ne peut exclure que certains eurodéputés renâclent à approuver un accord qui fait de l’Irlande du Nord une quasi-zone économique spéciale risquant d’inciter certaines entreprises à y délocaliser leurs activités.

Le rôle de Cour de justice de l’Union européenne

Si la procédure n’est pas achevée au 31 janvier 2020, le Royaume-Uni devra alors demander une nouvelle extension, qui devra être acceptée à l’unanimité des vingt-sept autres chefs d’Etat ou de gouvernement, avec toutes les incertitudes que cela soulève. Le président Macron, en particulier, a exprimé à plusieurs reprises sa lassitude à l’égard du Brexit.

En outre, le risque judiciaire a été complètement ignoré. Or, l’on ne saurait exclure que la Cour de justice de l’Union européenne soit amenée à contrôler la compatibilité de l’accord avec les traités européens. Certes, en amont de l’entrée en vigueur de l’accord, elle ne peut être saisie que par un Etat membre ou une institution de l’Union.

Or, pour l’instant, aucune intention de saisir la Cour n’a été exprimée. Cependant, après l’entrée en vigueur de l’accord, le jeu des voies de droit normales pourrait permettre, par exemple à des particuliers mécontents de l’accord, d’en contester la légalité devant la Cour de justice.

Faute de précédents, il est difficile d’évaluer le risque d’illégalité de l’accord. L’on se contentera d’observer qu’un certain nombre de dispositions de l’accord pourraient être considérées comme allant au-delà des simples arrangements transitoires que semble permettre l’article 50 du traité sur l’Union européenne, base juridique de la procédure.

La saga du Brexit ne fait que commencer

C’est le cas, par exemple, du maintien de facto et à durée indéterminée de l’Irlande du Nord dans l’Union douanière européenne, ou encore de la cristallisation à vie des droits des citoyens. S’il s’avère que l’Union européenne a excédé sa compétence, la Cour de justice peut déclarer l’accord invalide, ouvrant donc la possibilité d’un no deal… post Brexit !

Enfin, il faut insister sur le fait que l’accord de retrait ne règle pas de façon pérenne les relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. S’il entre en vigueur dans les temps, le Royaume-Uni deviendra seulement pour une durée limitée un Etat membre « Canada Dry » : formellement un Etat tiers, mais avec quasi tous les droits et obligations d’un Etat membre (à l’exception, notable, du droit de participer aux décisions européennes, qu’il aura pourtant à appliquer !).

Cette période transitoire devra être consacrée à la négociation d’un ou plusieurs accords fixant sur le long terme les relations UE-Royaume-Uni en termes surtout de commerce et de coopération en matière de sécurité et de défense. Or, nombreux sont ceux à Bruxelles, à commencer par Michel Barnier, négociateur du Brexit pour l’UE, qui pensent que ces accords seront longs et difficiles à négocier.

Après tout, il aura déjà fallu trois ans pour négocier ce que les partisans du Brexit pensaient être « l’accord le plus facile de l’histoire ». Le risque d’une rupture totale des relations commerciales entre l’Union européenne et le Royaume-Uni est donc, dans le meilleur des cas, simplement reporté à la fin de la période transitoire. Contrairement au slogan de campagne de Boris Johnson, « Get Brexit done », le Brexit est donc loin d’être fait : la saga ne fait que commencer.

Sébastien Platon (Professeur de droit public à l’université de Bordeaux)

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