L’accord sur le Brexit ne tiendra pas

J’ai un message à adresser aux dirigeants européens : ne croyez pas que cet « accord » sur le Brexit tiendra. Il est nocif pour les deux parties. Il n’est approuvé ni par le Parlement britannique, ni par le peuple britannique, ni même par une bonne partie de ceux qui sont restés dans le gouvernement de Theresa May. Aussi, préparez-vous à toutes les éventualités, même à la possibilité d’un nouveau référendum.

Theresa May a fait preuve de courage et de résilience en concluant cet « accord », et les négociateurs, tant britanniques qu’européens, méritent le respect pour les immenses efforts qu’ils ont déployés dans des circonstances particulièrement difficiles. Ils ont, elle et eux, toute ma sympathie. Mais deux grosses failles ont miné ces négociations : l’une est d’ordre technique, l’autre de nature politique.

La faille technique repose sur le projet d’accord. Celui-ci fait croire qu’il est possible pour le Royaume-Uni d’être simultanément en dehors du marché unique et de l’union douanière tout en ayant accès aux marchés européens sans aucune friction aux frontières. Autrement dit, il pourrait continuer à échanger librement des biens en Europe comme il le fait aujourd’hui, mais sans être juridiquement contraint de se conformer aux règles européennes.

Theresa May, en tout cas lorsqu’elle s’adresse à un auditoire britannique, affirme que son accord réussit à concilier les deux. L’Europe sait que ce n’est pas le cas.

Une divergence fondamentale

De la même façon, les complexes arrangements du backstop, nécessaires pour que la frontière irlandaise reste ouverte, sont présentés au Royaume-Uni comme signifiant que celui-ci restera dans l’union douanière pendant une période déterminée par Londres. L’Europe sait bien que ce n’est pas vrai. Le pays restera dans l’union douanière jusqu’à ce que les deux parties conviennent qu’il ne doit plus y rester. Autrement dit, l’Union européenne dispose d’un veto.

Il s’agit là de formulations astucieuses – un véritable travail d’orfèvre – qui cherchent en réalité à occulter une divergence fondamentale. Ce n’est pas raisonnable. Cela nous mènera au chaos.

La faille politique est tout aussi profonde. Theresa May mène ces négociations avec comme objectif une intention louable : rassembler le pays après les fractures du Brexit. Pour aller dans le sens des brexiters, elle reconnaît que le Brexit est un fait, mais elle cherche dans le même temps à minimiser les dégâts en continuant à respecter les règles européennes de façon que le Royaume-Uni subisse le moins de perturbations économiques possible.

Le problème est que la raison pour laquelle les brexiters justifient le Brexit consiste précisément à se libérer de ces règles. En d’autres termes, Theresa May souhaite que le Royaume-Uni quitte les structures politiques de l’Europe, mais qu’il reste étroitement alignée sur ses structures économiques. C’est un objectif sensé mais qui débouche sur un Brexit dénué de sens : tout ce que le Royaume-Uni aura fait, c’est renoncer à avoir son mot à dire dans la définition de ces règles tout en continuant à s’y soumettre, ce qui est une bien curieuse façon de « reprendre le contrôle » [selon le slogan pro-Brexit].

La pire des solutions

L’attitude de l’Europe est la suivante : « Cela nous paraît insensé, mais si c’est vraiment ce que vous voulez, c’est O.K. pour nous ». Sauf que ce n’est pas ce que nous voulons. Pour les brexiters d’un côté, cela n’est pas vraiment un Brexit. De l’autre, pour les « Remain » ardents comme moi, c’est un résultat qui ridiculise notre pays. Pour tous, ce ne serait pas un moindre mal, ce serait la pire des solutions.

D’ailleurs, dans les sondages d’opinion, le camp du « Remain » enregistre un peu plus de 50 % d’avis favorables, le vrai Brexit un peu plus de 30 %, tandis que le meilleur résultat qu’atteint la proposition de Theresa May se situe aux alentours de 15 %. Alors que cette solution a été conçue pour satisfaire tout le monde, elle ne satisfait quasiment personne.

Cette faille politique se traduit par des tensions au sein du gouvernement et même au sein du cabinet de la première ministre. Plusieurs ministres ont démissionné le 14 novembre. Mais sur le fond, les partisans du Brexit qui sont restés en poste ont la même position que les démissionnaires ; ils divergent uniquement sur la tactique. Les brexiters qui restent au gouvernement estiment qu’il est préférable de faire franchir au pays le cap de mars 2019 [la date effective de l’entrée en vigueur du Brexit] ; et ensuite, lorsqu’il sera trop tard pour empêcher le Brexit, de rouvrir la discussion à la fois sur le backstop irlandais et sur les conditions d’accès au marché européen.

Une moitié du gouvernement pense que notre avenir commercial avec l’UE sera similaire au statut actuel de la Norvège, l’autre moitié pense qu’il ressemblera à celui du Canada. Tout le problème est que l’« accord » actuel ne sonnera pas la fin de l’affrontement. Il ne fera que le prolonger.

Vocabulaire de camouflage

Je comprends très bien pourquoi certains secteurs économiques, l’Etat britannique et le système européen sont prêts à soutenir l’« accord ». Et comme j’ai une longue expérience de la politique – britannique et européenne –, je comprends aussi l’élégance du vocabulaire de camouflage employé pour échapper à une situation délicate. Mais, en l’occurrence, la clarté serait meilleure conseillère que le camouflage.

En mettant un instant de côté la politique, posez-vous la question en tant que dirigeant européen : cette solution va-t-elle réellement dans le sens des intérêts de l’Europe ? Si vous étiez libre de proposer n’importe quelle solution, est-ce celle-là que vous choisiriez pour l’avenir de l’Europe ? La réponse, manifestement, est non.

Maintenant, songez qu’une majorité écrasante du Parlement britannique ferait la même réponse. Ainsi, nous nous apprêtons collectivement à faire quelque chose que nous savons erroné, stupide et contraire à nos véritables intérêts. Est-ce que ça n’est pas insensé ?

Il y a une autre voie et l’Europe devrait s’y préparer. Cette voie est la suivante : le Parlement britannique rejette l’« accord ». Nous proposons un vote pour un nouveau référendum. L’Europe fait un pas en avançant une proposition au sujet de l’immigration, qui – soyons honnêtes – n’est pas un problème qui préoccupe seulement les Britanniques, mais tous les Européens. Et nous autres, Britanniques, décidons de notre avenir non pas en revendiquant ou en contestant le résultat de juin 2016, mais en nous fondant sur ce qu’aujourd’hui nous savons être vrai et ce que nous savons être faux ; en réalisant ce que signifie vraiment le Brexit ; et en sachant qu’en restant dans l’Europe, nous resterons dans une Europe qui aura entendu nos préoccupations.

Il n’est pas trop tard pour faire demi-tour devant l’impasse. Le Brexit est une mauvaise chose pour le Royaume-Uni. C’est également une mauvaise chose pour l’Europe. Nous le savons tous. Il existe désormais un soutien plus important pour un nouveau référendum que pour toute alternative. Je dis aux dirigeants européens : aidez-nous tous pour éviter une erreur qui assombrira non seulement notre destin, mais aussi le vôtre.

Tony Blair, premier ministre du Royaume-Uni entre 1997 et 2007, préside l’Institute for Global Change. Traduit de l’anglais par Gilles Berton

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