L’accord sur le climat devra étendre le marché carbone à l’échelle mondiale

La négociation climatique sous l’égide des Nations unies a commencé en 1990. En un quart de siècle, elle n’a guère eu d’incidence sur les réalités internationales, et encore moins sur les émissions de gaz à effet de serre, en nette accélération dans le monde ces quinze dernières années. La prochaine conférence mondiale sur le climat (COP21), du 30 novembre au 11 décembre à Paris, peut-elle inverser la tendance ?

A de nombreux égards, le contexte est favorable. Sur le front énergétique, les progrès technologiques rendent accessibles de nouvelles sources renouvelables à des coûts compétitifs. Un nombre croissant de pays ont engagé des politiques climatiques intérieures, voire des coopérations régionales.

Les pays émergents ont lié leurs stratégies climatiques à la lutte contre les pollutions locales, qui répond à des besoins sanitaires immédiats. Mieux informés des questions climatiques, les acteurs développent sur les territoires nombre d’expérimentations pour concilier développement économique et réduction des émissions.

100 milliards de dollars vers les pays du Sud

Cependant, un accord climatique ambitieux ne saurait résulter de l’empilement d’engagements volontaires. La logique de tels accords conduit à révéler sa position non en fonction des enjeux climatiques, mais au regard des stratégies des autres pays. Elle a incité à des comportements de « passagers clandestins ».

Au mieux, l’addition des contributions déposées par les gouvernements auprès des Nations unies aboutira à la description d’un scénario « business as usual » (sans changement de méthode) : celui qui prolonge les politiques existantes et nous emporte vers un réchauffement moyen bien supérieur aux 2 °C. De plus, ces contributions n’abordent pas la question du financement des 100 milliards de dollars (88,3 milliards d’euros) vers les pays du Sud au titre de la justice climatique, qui est une condition majeure de succès des négociations.

Pour renforcer les engagements de réduction d’émissions et crédibiliser les promesses de transferts financiers, la conférence de Paris doit déboucher sur un accord permettant de déployer rapidement de nouvelles incitations économiques et financières à l’échelle internationale.

Comme le souligne l’« Appel pour un accord crédible et ambitieux » signé par près de 200 économistes du monde entier de sensibilités très différentes, ces incitations doivent tendre vers l’instauration d’un prix mondial du carbone indiquant à chaque acteur économique le coût des dommages associés à ses émissions de gaz à effet de serre.

Marché transcontinental du carbone

La logique des accords globaux du type protocole de Kyoto ayant été abandonnée lors de la conférence de Copenhague de 2009, il faut trouver de nouvelles voies pour progresser sur la tarification internationale du carbone. La plus évidente consiste à donner un souffle nouveau aux marchés du carbone, qui se développent aujourd’hui sans coordination au sein des trois ensembles économiques totalisant plus de 55 % des émissions mondiales : Chine, Amérique du Nord et Europe.

Le coût de cette fragmentation est élevé, sur le plan tant économique qu’écologique. Une rupture salutaire serait de faire figurer dans l’accord de Paris un engagement politique de mutualiser cet instrument avec un objectif simple : constituer un marché transcontinental du carbone d’ici à 2020, date d’entrée en vigueur prévue pour le futur accord climatique.

Le prix du carbone devrait aussi être utilisé pour inciter l’ensemble des pays à rejoindre l’accord climatique universel. Une voie consisterait à introduire un bonus-malus carbone international. Les pays fortement émetteurs seraient redevables d’une dette, le « malus » calculé à partir de l’écart de leurs émissions par tête à la moyenne mondiale.

Les pays au-dessous de la moyenne désireux de rejoindre l’accord climatique pourraient, eux, faire valoir une créance, le « bonus » également calculé à partir de l’écart de leurs émissions par tête à la moyenne. La condition pour faire valoir cette créance serait de rejoindre le système commun de mesure et de vérification placé sous l’égide des Nations unies.

Un nouveau critère d’équité

Ce bonus-malus carbone introduirait dans la vie internationale un nouveau critère d’équité : l’égalité de tous les citoyens du monde à émettre des gaz à effet de serre. Avec un prix d’un dollar la tonne de CO2, le système conduirait à transférer, dès le départ, plus de 10 milliards par an depuis les pays fortement émetteurs vers les pays faiblement émetteurs, qui regroupent l’ensemble des pays les plus pauvres.

Avec un prix de 7 dollars, on atteindrait 100 milliards pouvant être transférés annuellement. En régime de croisière, le bonus-malus inciterait l’ensemble des pays participant à l’accord à réduire leurs émissions plus rapidement que la moyenne mondiale, pour augmenter leur bonus ou réduire leur malus suivant leur position initiale.

La faisabilité d’un tel système requiert un consentement à payer de la part des pays fortement émetteurs. Peut-on créer un tel consentement dans la géopolitique mondiale actuelle où priment les intérêts à court terme de chacun ? Beaucoup en doutent et certains considèrent le bonus-malus comme un rêve d’économistes.

Peut-on pourtant réellement imaginer un accord climatique ambitieux si les principaux émetteurs de ce monde refusent d’amorcer la pompe en réglant ne serait-ce qu’un ou deux dollars par tonne de CO2 émise au-dessus de la moyenne mondiale ?

Par Christian de Perthuis (Professeur à l’université Paris-Dauphine, chaire Economie du climat) et Pierre-André Jouvet (Professeur à l’université Paris-Ouest Nanterre-La-Défense, chaire Economie du climat)

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