L'adieu au monde d'hier

Le gouvernement suédois a décidé de rétablir le service militaire dès 2018, en espérant convaincre quelque 4000 recrues de s'engager chaque année, sur les 13 000 jeunes convoqués aux opérations de recrutement. Île de Gotland, septembre 2016. — © EPA/SOREN ANDERSSON
Le gouvernement suédois a décidé de rétablir le service militaire dès 2018, en espérant convaincre quelque 4000 recrues de s'engager chaque année, sur les 13 000 jeunes convoqués aux opérations de recrutement. Île de Gotland, septembre 2016. — © EPA/SOREN ANDERSSON

C’est la fin de l’insouciance. La fin de «l’âge d’or de la sécurité», pour reprendre le mot de Stefan Zweig parlant de l’Europe d’avant le suicide collectif de 1914. Comme il paraît décidément loin ce 26 novembre 1989, quinze jours après la chute du Mur, où l’initiative «pour une Suisse sans arme» avait recueilli, à la surprise générale, 35% des voix. Il est à craindre que le Groupe pour une Suisse sans armée ne trouve plus avant longtemps un tel écho. Et personne ne peut s’en réjouir. Car à la courte décennie marquée par la détente et un espoir de confiance entre les nations a succédé la stratégie des rapports de force.

Lundi, le ministre de la Défense Guy Parmelin soutiendra son Rapport de politique de sécurité 2016 devant le Conseil des Etats. Il faut s’attendre à ce que les voix critiques soient moins nombreuses et moins virulentes que lors du passage du précédent rapport 2010 sous l’autorité d’Ueli Maurer. Parce que l’analyse du Conseil fédéral tient mieux compte des nouvelles menaces – cyberattaques, cyberingérences, guerres asymétriques, terrorisme – ou de l’insécurité provoquée par le Brexit et la politique musclée de Moscou, ou encore d’un éventuel désengagement des États-Unis au sein de l’OTAN. Mais surtout parce que le climat en Europe a radicalement changé en une année. Au point qu’au sein même de la gauche critique envers le lobby militaire, le ton s’est fait plus conciliant.

Retournement historique

Crise des démocraties libérales, montée des régimes autoritaires, terreur des groupes djihadistes, déstabilisation complète au Moyen-Orient, poussées migratoires: à juste titre les opinions s’inquiètent de la fin de l’ordre ancien, la suprématie occidentale, et de l’absence d’un nouvel ordre du monde.

Dans les dix ans qui ont suivi la chute du Mur, les dépenses militaires mondiales avaient chuté de 33%. Mais entre 2012 et 2016 seulement, on assiste à une remontée de 8,4% des ventes d’armes. Donald Trump souhaite augmenter de 9%, soit de 54 milliards de dollars, son budget militaire en 2018. La relance du budget de défense en Allemagne, 7% cette année, est un vrai retournement historique. Les deux candidats à la Chancellerie, Angela Merkel et Martin Schulz, ont tous deux annoncé vouloir faire passer ces dépenses de 1,2% actuellement à 2% du PIB afin de jouer un rôle plus important au sein de l’OTAN. En France, le socialiste Benoît Hamon proposait même, durant la primaire de gauche, de passer de 1,7 à 3% du PIB.

Idéologie de la guerre froide

Mais le plus marquant reste la décision du gouvernement suédois de rétablir le service militaire dès 2018, en espérant convaincre quelque 4000 recrues de s’engager chaque année, sur les 13 000 jeunes convoqués aux opérations de recrutement. Or l’abolition en Suède de l’obligation de servir avait été un des modèles du GSsA pour défendre son initiative contre la conscription obligatoire en 2013. «Le redéploiement massif de la puissance militaire russe et l’agressivité de la politique menée par Moscou justifient cette décision», disent les autorités suédoises.

Même le Parti socialiste suisse préfère oublier avoir inscrit en 2010 dans son programme la suppression de l’armée. Cela ne devrait pas laisser espérer une baisse des critiques contre les budgets et projets militaires. Car, comme le relevait le conseiller national Carlo Sommaruga en dénonçant le décalage entre le rapport de politique de sécurité et les achats d’armement, «l’idéologie de la guerre froide» n’a pas disparu de l’armée. Guy Parmelin aura-t-il la poigne et le courage d’impulser cette réforme culturelle?

Yves Petignat, journaliste.

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