L’Afrique, clé du succès de la COP 21

La COP 21 saura-t-elle écouter les voix de tous, ou comme souvent, n’entendra-t-elle les voix qu’au prorata des coalitions de puissances, comme le fait craindre l’entente Pékin-Washington actée en novembre 2014 ? L’Afrique, divisée en 54 Etats, est beaucoup moins forte économiquement et politiquement que la Chine et l’Inde par exemple. Elle risque de ne pas être entendue malgré la mobilisation croissante de ses experts et de sa population. Est-il sage, par exemple, de lui imposer de faire une croix sur ses immenses richesses carbones encore loin d’être exploitées, même si son potentiel en énergies renouvelables est considérable ?

En 2100 - horizon de toute politique climatique crédible - l’Afrique devrait compter 4,2 milliards d’habitants. Au rythme moyen de croissance de 4 % par an, son PIB pourrait atteindre 127 000 milliards de dollars au prix de 2005 et en parité de pouvoir d’achat, soit un revenu par habitant d’environ 30 000 dollars, à comparer aux 40 000 dollars actuels des pays de l’OCDE. Avec le coefficient d’émissions de CO2 par point de PIB le plus efficace actuellement (moyenne OCDE), les émissions de CO2 africaines atteindraient alors 40 milliards de tonnes par an, soit quasiment le niveau mondial actuel.

Intenable ? Oui. Le plan B consiste à s’aligner sur l’objectif de stabilisation des émissions mondiales et à leur répartition au prorata du poids économique de chacun, à défaut de l’objectif d’une égalité parfaite par habitant. On obtient alors une multiplication par 11 des émissions africaines par rapport à leur niveau actuel, et une nécessaire réduction de 95 % des émissions des pays de l’OCDE par rapport à leur niveau de 1990. Voilà le véritable enjeu de la COP 21.

L’utilisation de ses réserves fossiles par l’Afrique ne pourra en réalité que croître ; il faut simplement les combiner à des investissements majeurs pour en réduire les aspects les plus polluants grâce à des technologies souvent existantes mais en effet coûteuses (20 à 40 % de surcoût).

La transition carbone en faveur des énergies renouvelables est bien sûr perçue comme une chance par l’Afrique elle-même, mais elle suppose bien évidemment des investissements importants, comme pour toute transition technologique à son stade initial.

Sur la base de la déclaration d’engagements de 47 Etats africains et des calculs de l’Institut Afrique RSE, ces pays auraient ainsi besoin de 724,6 milliards de dollars pour passer de 3 661 à 2 204 millions de tonnes équivalent CO2 d’émissions dans les prochaines années.

On est donc très loin des 100 milliards de dollars par an promis par les pays développés dans le cadre du Fonds vert, dont la majorité ira en outre à la Chine et l’Inde. D’autant que les défis africains de l’urbanisation, de la valorisation des terres (le continent abrite 60 % des terres arables mondiales non utilisées) et de la progression du pouvoir d’achat des habitants ne sont pas vraiment pris en compte dans la plupart des projections actuelles.

Voilà pourquoi en réalité, les chances d’un succès non seulement diplomatique, mais réel, de la COP 21 restent très hypothétiques. Tant qu’on n’y mettra pas au centre le continent africain, coeur de l’économie mondiale du XXIe siècle, la question climatique n’aura pas de solution.

Jean-Joseph Boillot est coauteur de « L’ Afrique pour les nuls » (First 2015)
Thierry Téné est directeur de l’Institut Afrique RSE

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