L’Afrique du Sud ferme les yeux sur la justice internationale

Le président sud-africain Jacob Zuma est dans la tourmente. Il a décidé de laisser filer Omar el Béchir, son homologue soudanais sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité et génocide commis sous ses ordres au Darfour. L’Afrique du Sud en tant qu’Etat parti de la CPI aurait dû procéder à son interpellation et le transférer à La Haye. Zuma s’est abrité derrière « l’immunité » des participants au XXVe sommet des chefs de gouvernements de l’Union africaine (UA) qui se tenait à Johannesburg. Cette décision est lourde de conséquences.

Et d’abord de mettre en échec la justice internationale qui a pourtant exercé de vives pressions pour que l’Afrique du Sud honore ses engagements. L’ambassadeur de Pretoria en Hollande a subi les foudres de la CPI. C’est un formidable encouragement en faveur de l’impunité qu’a donné le chef de la « Nation arc-en-ciel », c’est aussi un nouveau mauvais coup fait aux innombrables victimes du régime de Khartoum. L’ONU elle-même qui s’est exprimée par la voix de son secrétaire général Ban Ki-Moon pour réclamer l’arrestation de Béchir en sort humiliée. L’image de l’Afrique du Sud comme grande puissance responsable en est fortement écornée. Son principal négociateur dans les conflits régionaux, l’ancien président Thabo Mbeki, va en être très affaibli. Or dans les débats sur l’élargissement du Conseil de sécurité, Pretoria était un prétendant légitime à représenter le continent noir. Comment faire confiance à un Etat qui viole ostensiblement ses engagements internationaux ?

Crise de confiance

Zuma avait la possibilité de dissuader Béchir de participer à cette réunion de l’UA et que le Soudan soit représenté par son ministre des Affaires étrangères. C’est l’option qu’avait choisie précédemment le Malawi. Il n’en a rien été. L’épreuve de force était inéluctable. Dès lors, la presse sud-africaine en témoigne, les projecteurs braqués sur ce sommet de l’Au ne portaient pas sur la situation explosive du Burundi, ni sur le sort des migrants africains en Méditerranée, mais sur le sort de Béchir ! Conformément à sa Constitution stipulant l’indépendance de la justice, les tribunaux sud-africains, confortés par la Haute cour de Pretoria, ont demandé de bloquer le départ du tyran soudanais. Une crise de confiance est donc ouverte avec les institutions juridiques nationales. Nul ne sait encore quelles en seront les suites.

Le mandat de Zuma a déjà été entaché par les émeutes xénophobes d’avril 2015, qui ont causé la mort de plusieurs Africains étrangers dans le pays. Il avait été reproché au chef de l’Etat sa passivité face aux violences. A-t’il voulu redorer son blason en endossant la rhétorique habituelle de nombreux dirigeants du continent qui, à l’instar de Robert Mugabe, le vieux dictateur zimbabwéen présidant actuellement l’UA, voient en la CPI une machine de guerre contre les Africains ? Sans doute, mais cet argument ne tient pas quand on sait que l’actuelle Procureur de la CPI, Fatou Bensouda est Gambienne.

Faut-il rappeler que la saisine de la Justice internationale sur la situation au Darfour a été faite par le Conseil de sécurité de l’ONU avec le vote de la Tanzanie et du Bénin, que cinq magistrats africains, sur proposition de leur gouvernement, siègent à la CPI, que l’Assemblée des États parties a élu le premier Africain à être son président, Sidiki Kaba, ministre de la justice du Sénégal. Il y a là beaucoup de paradoxes…

« Mandela est bien mort »

Par ailleurs des rumeurs de « prises en otage » des troupes sud-africaines stationnées au Darfour sous mandat des Nations Unies, malgré le démenti de l’ONU, vont bon train. Les trois bases de regroupement de ces soldats auraient été encerclées par l’armée de Khartoum jusqu’au moment du retour de Béchir au Soudan. Mais l’agence de presse sud-africaine à l’origine de cette information n’en démord pas, elle s’appuie sur le témoignage de plusieurs soldats. Voilà qui n’arrange pas les affaires de Zuma face à son opinion publique chatouilleuse sur tout ce qui touche à sa fierté nationale.

Parmi les vagues de migrants qui, au péril de leurs vies, tentent de gagner l’Europe, il y a de très nombreux Erythréens et Soudanais, deux pays qui martyrisent leur population. Le désespoir des victimes est immense devant le cynisme des dirigeants africains. Mandela est bien mort.

Jacky Mamou est président du Collectif Urgence Darfour.

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