L’Afrique, eldorado de la finance islamique

Le 24 janvier, l’Africa Finance Corporation (AFC), institution multilatérale spécialisée dans le développement de projets d’infrastructures en Afrique, a émis sa première obligation conforme aux principes de la finance islamique. Ce sukuk, dont la valeur reste relativement symbolique (150 millions de dollars ; 140 millions d’euros), est le premier à être émis par une institution supranationale africaine. Les quatorze Etats membres de l’AFC envoient ainsi un signal supplémentaire de confiance à l’industrie financière islamique, après les émissions d’obligations souveraines de la Côte d’Ivoire, du Sénégal et du Togo en 2016. Ces pays ont ainsi levé près de 1,2 milliard d’euros ces deux dernières années.

Ces obligations conformes à la charia, la loi divine islamique, connaissent un succès incontestable auprès des investisseurs. Lors des récentes émissions, les demandes de souscription ont nettement dépassé les montants espérés. De nouveaux pays, comme le Nigeria, devraient eux aussi recourir à ce mode de financement dans les mois à venir.

Les sukuk ont, en principe, la particularité d’être adossés à des actifs tangibles, souvent immobiliers. Leurs possesseurs détiennent une part des actifs sous-jacents et se partagent les revenus générés par les actifs. Ils encourent également les risques associés. Ce système entend remplacer celui des intérêts (riba), proscrits par l’Islam.

Besoins considérables

Conçu pour soutenir l’économie réelle, il n’est pas surprenant que ce mode de financement trouve un accueil favorable en Afrique subsaharienne. La croissance soutenue du continent génère en effet des besoins considérables en matière de logement, santé, énergie… Le gouvernement ivoirien a, par exemple, lancé un plan national de développement de 45 milliards d’euros pour soutenir une industrialisation massive d’ici à 2020. Le Sénégal, le Nigeria et le Kenya réalisent des efforts similaires pour répondre sérieusement aux besoins d’infrastructures.

Dans un contexte de pression budgétaire, les sukuk semblent ainsi pouvoir contribuer à financer ces projets de long terme, d’autant que les investisseurs moyen-orientaux cherchent activement à placer leurs liquidités. Le faible cours du pétrole depuis 2014 est loin d’avoir épuisé les ressources financières et les velléités d’investissement des pays du Golfe. Les placements de long terme sont plus que jamais recherchés pour préparer l’après-pétrole.

En émettant des sukuk, les Etats africains contribuent à populariser la finance islamique et à ouvrir la voie à ses autres produits. Si l’Afrique subsaharienne ne représente, pour l’heure, guère plus de 1,5 % du marché mondial de la finance islamique (qui pèse plus de 1 900 milliards de dollars), de nombreux gouvernements préparent le terrain législatif et fiscal pour favoriser son développement.

Démographie galopante

Des banques islamiques ouvrent leurs portes sur tout le continent. On en compte aujourd’hui plus d’une centaine, ainsi qu’une trentaine de fonds et autant d’institutions de microfinance. La finance islamique a, pour l’heure, trouvé ses expressions les plus abouties au Soudan, dont le système bancaire est entièrement islamique, au Nigeria et au Sénégal, mais aussi dans des pays à majorité chrétienne comme le Kenya et l’Afrique du Sud, qui ont l’ambition de devenir des hubs financiers régionaux.

C’est sans doute dans la banque de détail que réside le plus grand potentiel régional de cette industrie. Le marché bancaire représente 80 % du marché mondial de la finance islamique ; le marché obligataire, les fonds et les produits d’assurances se partageant le reste, selon l’Islamic Financial Services Industry Stability Report 2016. Or, la population musulmane subsaharienne connaît la plus forte croissance du monde musulman. Elle représentait près de 250 millions de croyants en 2010 et pourrait atteindre 385 millions d’ici à 2030. Les banques de détail devraient profiter de cette démographie galopante, ainsi que de la relative faiblesse des infrastructures bancaires existantes.

François-Xavier Carayon, consultant dans un cabinet de conseil en stratégie)

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