L’anthropocentrisme moderne a contaminé le christianisme

Le synode sur l’Amazonie, qui s’est tenu à Rome en octobre, a confirmé l’engagement de l’Eglise catholique pour une nouvelle relation à la terre, à la hauteur de la sensibilité écologique actuelle, consciente des impasses du modèle techniciste et néolibéral. Cet engagement était déjà bien affirmé dans l’encyclique Laudato si du pape François publiée en juin 2015. Alors que la COP25 a manifesté une fois de plus la réticence des grandes puissances à s’engager dans une vraie transition, l’autorité morale de l’Eglise, pourtant malmenée dans d’autres domaines, pourrait jouer un rôle significatif auprès des opinions publiques et des décideurs.

Dans son encyclique, le pape dénonçait l’inaction des instances politiques. La prévalence des intérêts particuliers sur le bien commun se traduit par une « soumission de la politique à la technologie et aux finances » (n° 54). S’y ajoute le fait que les centres de pouvoir, se trouvant « dans des zones urbaines isolées », sont « sans contact avec les problèmes des exclus » (n° 49).

La « clameur de la terre » et la « clameur du peuple »

L’Amazonie n’était pas choisie au hasard. C’est une région du monde particulièrement sensible du point de vue écologique (un tiers de la biodiversité mondiale, un cinquième de l’eau douce de la surface de la planète, sans compter sa fonction de « poumon » de la planète) comme du point de vue social, du fait des nombreuses exactions commises à l’encontre des peuples qui y vivent. La « clameur de la terre » y résonne avec la « clameur des pauvres » (Laudato si, 49). Le nouveau pouvoir brésilien ne s’y est pas trompé. Le président Bolsonaro, qui avait dénoncé le caractère « politique » du synode, y voyant une atteinte à la « sécurité nationale », ne se prive pas d’attaquer les évêques brésiliens lorsqu’ils défendent la forêt et les peuples autochtones.

Le synode a encouragé la mise en place de rituels liturgiques inspirés par les cultes traditionnels de ces régions. Il convient en particulier d’honorer la « terre mère » (Pachamama). Pour le signifier, cinq statuettes représentant une jeune femme enceinte, symbole de fécondité, furent déposées dans une église proche du Vatican. Cela n’a pas plu à tout le monde. Elles furent jetées dans le Tibre par un jeune militant autrichien voulant dénoncer un « sacrilège païen », à la grande joie de groupes conservateurs américains qui ne se privent pas de dénoncer l’engagement du pape François en faveur de l’écologie comme une hérésie « néo-païenne ».

Toute faute contre la nature est une faute contre Dieu

Cette péripétie n’a pas troublé les participants du synode, où la présence féminine était d’ailleurs plus nombreuse que d’habitude. L’engagement en faveur de la terre s’accompagne d’une dénonciation des crimes à son encontre. Il fut question de « péché écologique » pour dire que toute faute contre la nature est une faute contre Dieu. La terre ne devient pas comme telle « sacrée », mais toutes ses instances doivent être respectées car nous en sommes dépendants. La solidarité interhumaine, qui est une composante essentielle du discours social de l’Eglise (et qui devrait être intrinsèque à sa pratique), s’étend aux autres créatures dans leur diversité.

Cet engagement qui se développe, comme l’attestent plusieurs entreprises (cf. le label « Eglise verte » en France), gagnerait à reposer sur une « théologie de la terre » plus élaborée. L’anthropocentrisme moderne a contaminé le christianisme. Il s’associe à une méfiance atavique à l’égard de toutes formes de paganisme. A titre d’exemple, il faudrait développer une théologie de l’animal, encore très embryonnaire. Depuis les Pères du désert égyptien au IVe siècle, en passant par François d’Assise, les grandes figures spirituelles y ont été sensibles. Dans son Cantique des créatures, le saint patron des écologistes avait qualifié la terre de « mère ». Il instaurait une relation de fraternité, c’est-à-dire une relation éthique, avec toutes les composantes de l’univers. Mais une théologie trop rationaliste est venue en soutien à l’attitude techniciste d’exploitation de la nature.

L’engagement écologique rejoint le combat contre le cléricalisme dont on constate de plus en plus les conséquences néfastes en matière d’abus. Ce n’est rien d’autre qu’une culture de l’entre-soi qui rend sourd à la « clameur du monde », insensible à l’égard des situations de détresse, qu’elles soient humaines ou non. On peut voir une convergence entre l’emprise sur des personnes (en particulier vulnérables) et l’emprise sur la nature. Un désir de domination, la « libido dominandi » déjà dénoncée par saint Augustin, fait de l’autre un objet à disposition.

Ce qui se joue, c’est donc une capacité de se décentrer et de s’ouvrir à l’autre. Contre toute posture de surplomb, le pape encourage la rencontre, le dialogue, une connaissance d’autrui (humain comme « naturel ») qui dépasse les apparences ou le « bien connu ». S’engageant dans cette démarche d’ouverture, la parole de l’Eglise pourrait retrouver une crédibilité qu’un cléricalisme encore trop présent lui a fait perdre.

François Euvé est théologien. Jésuite, professeur de théologie fondamentale et dogmatique au Centre Sèvres à Paris, il est également rédacteur en chef de la revue Etudes. Il est auteur de plusieurs essais dont Pour une spiritualité du cosmos. Découvrir Teilhard de Chardin (Salvator, 2015) ; Au nom de la religion ? Barbarie ou fraternité (L’Atelier, 2016).

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