L’antifascisme, un crime en Inde

Le 28 août, Arun Ferreira (à droite), un défenseur des droits de l'homme et avocat, a été arrêté par la police de Pune, en Inde. Photo Praful Gangurde. Hindustan Times via Getty Images
Le 28 août, Arun Ferreira (à droite), un défenseur des droits de l'homme et avocat, a été arrêté par la police de Pune, en Inde. Photo Praful Gangurde. Hindustan Times via Getty Images

Il y a quelques jours, en Inde, la police a perquisitionné les domiciles de cinq militants, confisqué leurs ordinateurs et téléphones portables, les a contraints à donner les mots de passe de leurs mails et a placé un certain nombre d’entre eux en garde à vue. Il s’agit d’Anand Teltumbde (universitaire et intellectuel dalit), Sudha Bharadwaj (universitaire et avocate), Varavara Rao (professeur à la retraite et poète), Arun Ferreira (avocat spécialiste des droits de l’homme), Vernon Gonsalves (universitaire et écrivain) et Gautam Navlakha (écrivain, journaliste et militant des droits de l’homme). Ces arrestations font partie d’une série de persécutions d’intellectuels et de militants par les forces de l’extrême droite hindoue, analysée dans le tout récent numéro de la Revue des femmes philosophes de l’Unesco, «Intellectuels, philosophes, femmes en Inde : des espèces en danger», auquel le professeur Teltumbde a contribué.

Ils sont accusés de faire partie d’un «front antifasciste» qui tente d’affaiblir le gouvernement dirigé par le nationaliste hindou Narendra Modi. Etre antifasciste serait donc un crime… la police accuse ces intellectuels de «lire trop de livres» et de «corrompre les étudiants»; elle les accuse aussi de vouloir soulever les Dalits (ou intouchables), notamment en commémorant une victoire dalit contre un royaume bramhan d’Inde centrale en 1818. Des militants dalits et des manifestants, qualifiés de «maoïstes» et de «naxalites urbains» (du nom d’un village du Bengale, lié à des émeutes pour une réforme agraire en 1967), ont été inculpés en vertu de la loi antiterroriste (UAPA Unlawful Activities Prevention Act), et la Cour suprême les a placés en résidence surveillée.

Le BJP (Bharatiya Janata Party) qui gouverne l’Inde est le bras politique de l’organisation non gouvernementale la plus puissante, le RSS – Organisation patriotique nationale –, qui voudrait que la nation soit dirigée par les castes supérieures, en particulier la minorité brahmane. Cette idée, bien qu’apparue au début du XXe siècle, a pris le nom de «hindutva» ou «hindouté» en référence à la religion hindoue. Le BJP est monté en puissance en 1992, avec la démolition d’une mosquée du XVIe siècle et les pogroms antimusulmans qui ont suivi.

Les massacres un mode de gouvernement

Narendra Modi, le Premier ministre du gouvernement dirigé par le BJP, a pris une importance nationale en 2002, porté par les «émeutes du Gujarat» qui ont tué plus de 1 000 musulmans dans l’Etat dont il était alors le Premier ministre. La victoire électorale du BJP en 2014 qui a permis de former le gouvernement national a été précédée d’un pogrom en 2013, connu sous le nom d’«émeutes de Muzaffarnagar».

Le RSS et les organisations nationalistes hindoues ont fait des massacres un mode de gouvernement. L’idée d’une «nation gouvernée par les castes supérieures» est difficile à défendre, et ces organisations ont une phobie sévère de tout ce qui est intellectuel. Depuis 2013, trois philosophes ont été abattus et une journaliste a été assassinée en bas de chez elle en 2017. Plus récemment, le leader étudiant, Umar Khalid, a échappé à une tentative d’assassinat par les nationalistes hindous «protecteurs de vaches», qui ciblent ceux qui mangent du bœuf.

Recherche sur les propriétés divines de l’urine de vache

Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement de Modi a ravagé les établissements d’enseignement en imposant les programmes du RSS : recherche expérimentale sur les propriétés divines de l’urine de vache, étude des technologies médicales qui permirent de créer Ganesh (un dieu avec la tête d’un éléphant et le corps d’un garçon), des technologies aéronautiques antiques du sous-continent qui permettaient aux dieux de voler, preuve des télécommunications sans fil dans l’Antiquité, bref, l’Inde comme origine de toutes les civilisations du monde.

Cette crainte de la culture conduira à d’autres arrestations et d’autres meurtres d’intellectuels, de philosophes et d’écrivains dans les jours à venir. Mais c’est aussi une certaine «acceptation» internationale liée à l’Inde comme marché, et un silence inacceptable, qui permettent à ces meurtres de se poursuivre.

Divya Dwivedi et Shaj Mohan, philosophes basés à Delhi.

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