L’antisémitisme de gauche peut coûter cher à l’Europe

La politique anglaise est plus sinistrée que jamais. David Cameron doit déjà faire face à une guerre civile au sein du Parti conservateur sur la question du Brexit. A son grand dam, les derniers sondages donnent une légère majorité pour une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Pour tenter de renverser la tendance, Cameron a signé, la semaine dernière, une tribune avec l’ancien président du Trade Union Congress (TUC) - Confédération des syndicats britanniques. Ensemble, ils ont appelé les travailleurs à voter «oui» à l’Europe pour mieux défendre leurs droits syndicaux. Pour le parti Tory, qui ne cesse de dénoncer l’emprise syndicale sur le pays, la collusion de l’héritier politique de Margaret Thatcher avec le principal représentant des travailleurs britanniques est une hérésie. Mais l’heure n’est plus aux scrupules politiques : pour l’emporter, Cameron a besoin des voix des 6,4 millions de salariés qui paient leur cotisation aux syndicats.

Il a tout autant besoin des voix des 9,3 millions de Britanniques qui ont voté pour le Parti travailliste en 2015. Las ! voici que le chef du Labour, Jeremy Corbyn, est éclaboussé par un scandale. Avec d’autres chefs travaillistes, il aurait toléré la présence de responsables notoirement antisémites au sein du parti. L’affaire a commencé après qu’une députée travailliste, d’origine pakistanaise, a été sanctionnée mercredi dernier pour avoir publié sur son compte Facebook en 2014 l’idée selon laquelle Israël et ses habitants pourraient aller s’installer aux Etats-Unis. «C’est la solution !» avait-elle écrit au moment du conflit à Gaza, une remarque ouvertement antijuive qui a refait surface après son élection au Parlement en 2015. Son post Facebook avait aussitôt provoqué une explosion de colère dans la communauté juive, dans la presse, et surtout parmi les députés travaillistes de tendance blairiste. Ces derniers n’ont jamais accepté l’arrivée à la tête du parti d’un Corbyn, venu tout droit du militantisme des années 70, auquel ils reprochent ses réactions gauchistes à toute question économique, sociale ou internationale.

Jeremy Corbyn assure qu’il n’est pas antisémite. Mais il a entretenu des relations avec le Hamas et le Hezbollah, et plusieurs autres groupes islamistes. En trente-trois ans de présence à la Chambre des communes, il a acquis la réputation d’un adversaire virulent de l’Etat d’Israël. C’est son ami et compagnon des années 70, l’ancien maire de Londres, Ken Livingstone, qui, voulant prendre la défense de la députée d’origine pakistanaise a jeté à nouveau de l’huile sur le feu, en déclarant que Hitler soutenait le sionisme «avant de devenir fou». Ken Livingstone cherche toujours la provocation - c’est son style et parfois son charme. Sortant des studios de la BBC, il a été apostrophé par un député travailliste. L’altercation a été filmée et elle est passée en boucle sur tous les écrans. Ken Livingstone a refusé de s’excuser, citant à l’appui de ses déclarations un livre écrit par un trotskiste américain sur les liens entre sionisme et nazisme. En dépit d’une amitié de quarante ans, Corbin n’a pas eu d’autre choix que de suspendre son ami Ken du Labour, décision qui pourrait conduire à son exclusion. Ce qui n’empêche pas Livingstone, 70 ans, accro aux médias, de donner des interviews tous azimuts pour défendre sa thèse sur les nazis et les sionistes. Depuis vingt ans, les électeurs juifs du Labour ont eu des leaders philosémites et pro-israéliens, comme Tony Blair, Gordon Brown ou Ed Miliband. Ils doivent maintenant supporter Corbyn, qui n’est pas antisémite mais qui est farouchement anti-israélien et utilise indifféremment les mots de «sioniste» ou d’«Etat d’apartheid» pour marquer son hostilité à l’égard d’Israël. Son chef de cabinet est même allé jusqu’à déclarer que la création d’Israël était un «crime». Depuis plusieurs jours, les parlementaires du Labour, juifs et non-juifs, occupent les écrans pour affirmer avec insistance que le Parti travailliste a un vrai problème avec l’antisémitisme et que Corbyn est une partie de ce problème et non sa solution. Le leader du Parti travailliste israélien, Isaac Herzog, a même écrit à Jeremy Corbyn pour lui proposer, à des fins d’édification, de rendre visite à Yad Vashem, le musée de l’Holocauste à Jérusalem. Tout cela est désastreux pour Corbyn. Pendant une semaine, tous les journaux et tous les bulletins d’information ont été hostiles et/ou négatifs envers son parti et son leadership. Le 5 mai, les électeurs vont aux urnes pour élire les députés du Parlement écossais, l’assemblée du pays de Galles, le maire de Londres, et un tiers des conseillers municipaux du Royaume-Uni. Ce test électoral s’annonce très mal pour le Labour et pour l’avenir de Corbyn comme leader du parti.

Mais la vraie victime de cette implosion des travaillistes sur la question de l’antisémitisme - ou de l’antisionisme, comme préfèrent dire Livingstone et Corbyn - est Cameron. Les visiteurs de Downing Street ces derniers jours constatent une angoisse qui grandit sans cesse. L’équipe au pouvoir craint de plus en plus que le référendum de Cameron se solde par un non à l’Europe, à l’image de ce qui s’est passé en France en 2005 ou dans les pays qui ont consulté leur population sur ce thème. Les militants du Parti conservateur sont eurosceptiques. Pour gagner et rester à Downing Street, Cameron a besoin des voix du Labour. Jeremy Corbyn a voulu venir à son secours en indiquant clairement que son parti et lui-même vont faire campagne pour le oui à l’Europe. Mais après l’une des pires semaines de l’histoire récente du Labour, personne n’écoute plus Corbyn. Si le Brexit s’impose, on pourra aussi en imputer la faute au leader travailliste, qui n’a pas su protéger son parti de l’antisémitisme de gauche du XXIesiècle.

Denis Macshane, ancien ministre des Affaires européennes dans le gouvernement de Tony Blair.

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