L’Arabie saoudite et la tentation du djihadisme

A une époque où les frontières sont fluides et contestées, où les conflits sont indirects et se font par procuration, à l’exemple de l’Ukraine, les Etats sont tentés d’utiliser des «courts-circuits» et des clients pour leurs propres objectifs politiques.

Les Etats-Unis, avec ses alliés en Afghanistan; Israël, qui a soutenu le Hamas lors de sa création; l’Iran qui, dans les années 1980, a sponsorisé différents mouvements nommés Hezbollah; le Pakistan, qui se tient derrière le réseau Haq­qani: tous ont cédé à la tentation. Dans la plupart des cas, ils se sont repentis du retour de balancier qui s’est produit quand ces groupes se sont avérés volatils, imprévisibles et indépendants.

Depuis 2001, la crainte d’un terrorisme général (opposé au terrorisme local ou national) occupe le devant de la scène. Des groupes tels qu’Al-Qaida, qui utilisent l’islam comme couverture pour un agenda global plus vaste, sont souvent nommés djihadistes, en référence à leurs efforts pour justifier leurs actes de violence par la religion. Cependant, même Al-Qaida, avec ses différentes branches au Yémen et dans le Maghreb, et qui apparaît par éclipses, a remarqué que la violence excessive s’aliène des circonscriptions électorales au sein du monde sunnite dépossédé, confus et en colère. D’où son expulsion de l’Etat islamique d’Irak (EII) en avril dernier, ces derniers étant jugés trop barbares pour continuer la collaboration.

La question de savoir si les djihadistes sont motivés par la religion ou par une crise d’identité, par leur marginalisation économique et sociale ou par l’attrait d’une foi rigoureuse et simpliste qui agit comme un ferment personnel et communautaire, est sujette à controverse. Bien que la composante religieuse soit sans doute secondaire parmi les autres composantes, elle fonctionne comme un argument de recrutement intrinsèque et comme une validation pour les volontaires. Et ceci soulève la question de la responsabilité de l’essor et de la manifestation des mensonges du djihadisme.

L’Arabie saoudite, qui pratique une forme particulièrement conservatrice de l’islam, le wahhabisme, et soutient politiquement et financièrement l’islam salafiste à travers le monde musulman, est souvent dépeinte comme l’inspiratrice, la trésorière et le cerveau du mouvement djihadiste mondial*.

Cette inculpation du Royaume n’est pas entièrement imméritée. En tant que gardienne des lieux saints, l’Arabie saoudite se sert de l’islam dans sa diplomatie, promouvant et fondant le salafisme au Pakistan, dans le Caucase, au Maghreb et en Asie du Sud-Est. Depuis que l’Iran révolutionnaire chiite a lancé son défi pour le leadership du monde musulman en 1979, l’Arabie saoudite a systématiquement joué la carte du sectarisme – l’accusation d’apostasie – encourageant les conflits entre les deux obédiences (chiite et sunnite) afin d’affaiblir son rival iranien dans sa course au contrôle du monde musulman. Cela s’est inévitablement traduit par des dissensions et des tensions communautaires dans des pays comme le Pakistan, et plus tard l’Irak. Les groupements extrémistes sunnites n’ont pas été découragés et les financements privés en provenance du Royaume, et destinés à ces groupements, ont échappé à tout contrôle.

C’est la guerre d’Irak en 2003 et l’émergence d’un gouvernement chiite dans un Etat voisin – avec apparemment la complaisance américaine – qui a encouragé Riyad à promouvoir la polarisation sectaire. La situation s’est encore détériorée depuis les émeutes du Bahreïn à majorité chiite en 2010 et avec la guerre civile en Syrie, où Téhéran soutient le régime d’El-Assad face à une opposition largement sunnite.

Il y a toutefois un autre chapitre dans cette histoire. En 1990 déjà, l’Arabie saoudite a compris que son financement des moudjahidines en Afghanistan était une épée à double tranchant. Lorsque ces militants sont entrés chez eux, ils ont constitué une menace interne. Incapable de contrôler ces groupes, le Royaume s’est retrouvé inévitablement lié aux attentats de 2001 contre les Etats-Unis.

Par la suite, le Royaume a lui-même subi des attaques terroristes en 2005 et 2006. Al-Qaida s’est mué en ennemi mortel. Récemment, le très extrême EII a montré peu de signe de sa volonté de limiter ses activités à l’Irak (ou l’Iran) chiite, mais a dévoilé ses vastes ambitions territoriales qui n’excluent aucunement la péninsule Arabique.

L’Arabie saoudite a banni les Frères musulmans et pris ses distances du Hamas. De récentes révélations suggèrent que seulement 5% des revenus de l’EII proviennent du Golfe. Le Royaume a versé 100 millions de dollars à un centre antiterroriste. Le 31 août, le roi Abdallah a déclaré à des ambassadeurs étrangers que […] «actuellement, le terrorisme est une force du mal qui doit être combattue avec sagesse et rapidité» (avant qu’il n’atteigne l’Europe).

La tentation d’utiliser des groupes radicaux pour des objectifs politiques nationaux suscite désormais la résistance. Malgré ses mauvaises relations avec l’Iran, le fait demeure que les deux Etats (et d’autres encore) partagent un intérêt à contenir et à démanteler les extrémistes militants et transnationaux et à prévenir la violence généralisée qui menace la région tout entière, de la Turquie jusqu’au Pakistan. L’intérêt est mutuel, et il n’était pas nécessaire d’attendre l’essor de l’EII pour le démontrer. Ainsi, la récente leçon à tirer de l’Irak d’Al-Maliki est que pour assurer la stabilité, il faut mettre en place des politiques plus vastes de représentation incluant toutes les communautés. L’Arabie saoudite pourrait commencer par le mettre en pratique chez elle avec sa minorité chiite, et cela pour son propre bénéfice politique et de sécurité.

Shahram Chubin, associé à Carnegie Endowment for International Peace.

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