L’arrestation du militant basque Josu Urrutikoetxea soulève une question délicate pour la France

Les efforts visant à mettre fin à la violence et aux conflits majeurs dans le monde – de l’Ukraine au Yémen – nous rappellent que, si les guerres impliquent d’énormes sacrifices personnels de la part de nos forces de l’ordre, il en va de même pour ceux qui œuvrent à la paix. L’arrestation, le 16 mai 2019, de Josu Urrutikoetxea, connu pour son militantisme en faveur de l’indépendantisme basque mais aussi pour son rôle décisif dans les pourparlers de paix visant à mettre fin au conflit basque, soulève une question délicate pour le gouvernement français.

Comment soutenir la transition de sortie du conflit basque, tout en reconnaissant la gravité des actes violents commis dans le passé et les droits pour toutes les victimes à obtenir la vérité, la justice et la résolution ? Bien que nous ne prétendions pas détenir la réponse à cette question récurrente dans tous les processus de paix, nous croyons que la criminalisation de ceux qui ont mené la transition de la lutte violente à une politique pacifique est à la fois problématique sur le plan éthique et stratégiquement contre-productif. C’est aussi cette même conviction qui anime les signataires du comité de soutien à la libération de Josu Urrutikoetxea et de la pétition appelant à sa libération.

En tant que praticiens et experts internationaux en médiation et construction de la paix, nous pouvons témoigner du fait que la résolution des conflits armés implique nécessairement des compromis et des concessions – parfois par la coercition violente et la défaite, le plus souvent par le dialogue et les accords de paix. Aussi déconcertant que cela puisse être, la fin de la phase violente du long conflit basque a montré qu’il est également possible d’y mettre un terme sans une victoire militaire totale ou un accord de paix négocié. Il faut par contre considérer que les actes de violence récurrents et la non-application de dispositions de certains accords de paix dans des contextes comme ceux de l’Irlande du Nord et de la Colombie démontrent que même un accord célébré n’apporte pas, en soi, la paix.

Le long chemin du vivre ensemble

Il ne représente qu’une étape sur le long chemin vers le vivre ensemble, la justice et la paix durable qui exigent plus de travail, plus de dialogue et plus de compromis. Choisir la non-violence n’est pas une option facile pour un Etat, une société ou un groupe qui a adopté pour tactique la guerre pour atteindre ses objectifs et revendications, et cela l’est sans doute encore moins pour les victimes et les survivants de la violence. Nul n’a le droit d’exiger leur pardon, il leur appartient librement de le donner ou non.

L’expérience des processus de résolution des conflits armés de longue durée a démontré, dans le monde entier, que la violence ne peut réellement être résolue que lorsque ses principaux protagonistes font le choix proactif d’un changement de paradigme, vers une démilitarisation du conflit politique et la recherche d’un dialogue sincère avec leurs anciens ennemis. Une telle transition nécessite aussi de la part de ces leaders d’animer un dialogue interne afin de convaincre leurs pairs, en particulier les plus radicaux d’entre eux, d’accepter ce changement.

Les processus de règlement des conflits impliquent généralement le démantèlement et le désarmement des structures militantes, en contrepartie de gestes de bonne volonté et des mesures de confiance réciproques de la part des Etats, y compris la libération des prisonniers politiques ou l’amnistie pour certains combattants, sous condition de leur engagement sur la voie de la reconnaissance des torts passés et la réconciliation.

Josu Urrutikoetxea un protagoniste-clé du processus de paix

Mais le processus basque s’est déroulé différemment. Après une longue série d’efforts peu concluants en vue d’un règlement négocié, où Josu Urrutikoetxea a joué un rôle central (à travers des tentatives de pourparlers de paix peu médiatisées à Alger, Oslo et Genève), les membres du mouvement indépendantiste ont choisi d’opter pour une autre voie. Leurs dirigeants (y compris ceux emprisonnés) ont procédé à une réévaluation stratégique de leurs objectifs historiques et de leurs moyens d’action.

Ils ont pris la décision de se mettre à l’écoute de leur communauté et de prendre acte des appels au changement exigé par la société basque. C’est ce qui les a finalement amenés à opter pour des moyens exclusivement pacifiques pour poursuivre leur combat vers le droit à l’autodétermination. Ce changement a été amorcé par la déclaration unilatérale de la fin de la lutte armée d’ETA en octobre 2011, suivie par son désarmement complet organisé en avril 2017. Et enfin, par l’autodémantèlement formel de l’organisation en mai 2018.

La société civile et un ensemble de personnalités politiques du Pays basque français et de toute la France ont été des acteurs essentiels de cette transformation, en agissant comme partisans, témoins et garants du processus. En témoignent le mouvement civil Bake Bidea et la Commission de juristes pour la paix au Pays basque, ainsi que les Artisans de la paix qui ont joué un rôle de premier plan dans le désarmement de l’ETA.

Josu Urrutikoetxea a été un protagoniste-clé tout au long de ce processus. Dans un contexte d’accord de paix négocié, il aurait bénéficié de gestes de conciliation de la part de l’Etat, pour lui permettre de contribuer aux travaux de construction d’une paix durable, y compris à travers la difficile recherche de la vérité et de la réconciliation avec toutes les victimes du conflit, et l’éducation des générations futures sur le passé douloureux du Pays basque.

Un règlement indispensable avec l’Espagne et la France

Sans un règlement négocié avec les Etats espagnols et français, il est difficile pour les protagonistes de la transformation non violente du conflit, d’en appeler à des concessions réciproques. Mais en privilégiant l’unique approche pénale focalisée sur des actes violents commis il y a trente ans, et en refusant de reconnaître les efforts entrepris pour sortir de la logique guerrière, le gouvernement français manque une occasion cruciale de faire preuve de leadership et de courage dans ce processus de paix inachevé.

Il risque d’envoyer le message dangereux que les griefs du passé ne peuvent en aucune circonstance être réparés, faire l’objet de compassion, et que la paix ne peut être construite que par la force et la coercition. Une réponse alternative n’est pas facile à mettre en œuvre, mais elle est essentielle.

Adopter une position plus conciliante face aux conflits violents du passé n’est pas un signe de faiblesse et n’exclut pas la reconnaissance de la gravité des actes violents commis par ETA ni le fait que ses victimes et toutes les victimes du conflit ont droit à la vérité, à la justice et à la réparation. Mais la justice transitionnelle est difficile à réaliser par le seul biais des moyens judiciaires et sécuritaires. Nous appelons donc l’opinion publique française à inciter son gouvernement à avoir le courage politique de tout mettre en œuvre pour résoudre les derniers obstacles qui entravent la résolution durable du conflit basque, y compris la question des prisonniers et anciens militants, ainsi que le dialogue et l’écoute des victimes pour construire ensemble la paix et la démocratie dans la région.

Andy Carl (praticien et expert en construction de la paix et cofondateur de l’ONG britannique Conciliation Resources, Londres, Royaume-Uni), Véronique Dudouet (chercheuse et experte en résolution des conflits pour l’US Institute of Peace, Washington, Etats-Unis) et Jean-Marie Muller (philosophe et écrivain, membre fondateur du Mouvement pour une alternative non violente (MAN), France)

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