L’assassinat de Pavel Sheremet est une tentative de déstabilisation de la société ukrainienne

Pavel Sheremet ne pouvait pas être acheté ou soudoyé, il pouvait uniquement être inspiré par des gens et des idées, et en inspirer lui-même. C’était un journaliste honnête et persistant, affligé par la transformation de la Russie et de la Biélorussie en pays autoritaires. C’est seulement en Ukraine qu’il a, en tant que journaliste russophone, trouvé sa place : il était l’un des dirigeants du journal en ligne indépendant le plus lu d’Ukraine, Ukrainska Pravda, depuis le début du soulèvement de Maïdan. Tout comme mes collègues, j’étais sous le choc quand j’ai appris qu’il avait été assassiné, tué par une bombe placée sous la voiture qu’il conduisait. J’ai rencontré Pavel pour la première fois en avril, dans une période d’impasse politique créée par des réformes à reculons et des accusations de corruption. Avec une coalition d’experts indépendants et d’organisations de la société civile, nous faisions campagne pour un gouvernement de technocrates, dont les membres seraient complètement indépendants de l’influence des oligarques. Pavel m’a interviewé ce jour-là dans son programme radio quotidien Vesti, et me posa des questions épineuses sur la crise politique, me confiant qu’il voyait cela comme une opportunité pour donner une nouvelle énergie au processus de réforme dans le pays.

A la mi-juillet, Pavel était intervenu à la fondation que je dirige, l’International Renaissance Foundation, la branche ukrainienne de la fondation Open Society fondée par le philanthrope Georges Soros. Un groupe de députés, de nouveaux ministres et d’experts étaient présents pour discuter des blocages – les « caillots de sangs » comme nous les appelons en Ukraine – dans le processus de réforme. Pavel était plein d’énergie et d’optimisme pour son pays d’adoption – ce qui contrastait avec la réalité sur le terrain. « De quoi sommes-nous inquiets ? », demandait-il au public pour nous pousser à faire avancer les réformes ; « Avons-nous peur d’une vengeance de l’opposition, des forces pro russes, ou de la radicalisation de la société ? Nous devons comprendre ce dont nous avons peur pour avancer ».

Danse macabre

En tant que journaliste, Pavel cherchait inlassablement les réponses aux questions les plus difficiles sur la situation en Ukraine. Depuis la révolution de Maïdan, l’Ukraine a souffert de la crise économique, de l’annexion de la Crimée, et d’une guerre continue avec la Russie dans le Donbass. L’instabilité politique, la corruption, et l’absence de volonté politique ont miné la confiance publique pour la politique. Pavel Sheremet s’attaquait à tous ces problèmes, cherchant des réponses nous bénéficiant à tous. Son décès nous rappelle qu’il y a encore beaucoup à craindre en Ukraine. La voiture conduite par Pavel appartenait à sa compagne, Olena Prytula, la rédactrice et fondatrice d’Ukrainska Pravda, le journal pour lequel Pavel travaillait. Il n’est donc pas clair qui exactement était ciblé par l’explosion mais la véritable cible d’une telle attaque, l’assassinat d’un journaliste réputé, ne fait aucun doute : c’est notre société. Ce crime envoie le message que le changement est une prise de risque. Il s’agissait clairement d’une tentative de déstabilisation de la société, une danse macabre, un avertissement pour les réformateurs : restez chez vous, ou vous serez les prochains.

Mais Pavel aurait voulu exactement le contraire, et cette tactique a déjà été utilisée par le passé. En 2000, Georgiy Gongadze, un autre fondateur d’Ukrainska Pravda, critique du gouvernement de l’époque, était décapité. Sa mort contribuera à déclencher la Révolution Orange qui conduit à une période de réforme. Le meurtre de Pavel se produit alors que l’Ukraine peine à maintenir un autre effort réformateur, issu il y a bientôt trois ans de Maïdan : la révolution de la dignité. Pavel n’aurait pas voulu que le processus de réforme en cours soit ralenti par sa mort.

Pavel Sheremet comprenait l’importance du journalisme, qui peut contribuer au changement dans une société, et les risques inhérents du métier. En 1998, il reçut le prix international de la liberté de la presse du comité pour la protection des journalistes pour sa couverture du président autoritaire biélorusse Aleksander Lukashenko. Il aurait voulu que d’autres journalistes continuent son travail en son absence. Un journalisme indépendant oblige les dirigeants politiques à tenir leurs promesses à l’égard de ceux qui les ont élus, et ce n’est pas le moment de cesser ce travail. Cet acte de terreur doit unir ceux qui en Ukraine croient au changement, et non pas nous diviser. C’est le moment pour la société civile de se rassembler et d’exiger des progrès dans les réformes le pays, comme Pavel le fit en tant que journaliste.

Yevhen Bystrytsky est le directeur exécutif de la fondation Renaissance Internationale qui soutient un journalisme d’investigation indépendant en Ukraine.

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