L'atome israélien est-il un danger ?

Le directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Yukiya Amano s'est félicité le 28 mai du consensus des 189 pays signataires du traité de non-prolifération nucléaire (TNP), prévoyant de débattre sur l'interdiction totale des armes de destruction massive dans tout le Moyen-Orient. Cette idée de zone exempte d'armes nucléaires (ZEAN) ne date pas d'hier. La résolution 34/77 du 11 décembre 1973, présentait déjà le projet d'une Middle East Nuclear Free Zone (MENFZ). Elle a pour première préoccupation de répondre à l'argumentaire israélien : le TNP ne peut être adapté aux spécificités moyen-orientales. En 1975, l'ONU définit pour la première fois les paramètres de la MENFZ. Très vite, Le Caire prit la tête d'une coalition diplomatique à l'AIEA et à l'ONU, rassemblant la plupart des pays arabo-musulmans, afin de parvenir à ce qu'Israël abandonne sa dissuasion nucléaire, que ces pays ne pouvaient obtenir. Il s'agissait donc de se servir de l'arme diplomatique contre la puissance militaire israélienne. A priori, la perspective d'un Moyen-Orient dénucléarisé serait logique, et constituerait une base pour la relance du processus de paix.

L'initiative n'est pas originale. De 1959 à 2006, des zones similaires ont été définies pour l'Antarctique, l'Amérique Latine, le sud du Pacifique, l'Asie du Sud-Est, l'Afrique, la Mongolie et enfin l'Asie centrale. En d'autres termes, les ZEAN, connexes aux efforts du TNP, envisagent à une échéance inconnue une dénucléarisation progressive de la planète, excepté, bien sûr, ceux qui possèdent déjà l'arme absolue, les cinq Etats dotés de l'arme nucléaire (EDAN) officiels (Etats-Unis, Russie, Grande-Bretagne, France et Chine). Reste une interrogation pour les trois Etats revendiquant sa possession et ayant effectuées des essais (Inde, Pakistan, Corée du Nord). Un dernier pays, Israël, pratique l'opacité en la matière. En Israël, tout ce qui touche au nucléaire s'apparente au non de Dieu ineffable. Seule la rengaine : "Israël ne sera pas le premier pays de la région à introduire des armes nucléaires" est servie aux journalistes. L'opacité officielle du programme israélien pose d'ailleurs davantage problème que l'existence de la bombe en elle-même. C'est ce dernier cas qui focalise les inquiétudes, car l'Iran, malgré les Cassandre, n'appartient pas encore à cette catégorie, bien que théoriquement capable d'assembler une bombe sale.

Mais de quoi parle-t-on exactement ? Israël est une puissance nucléaire dans tous les sens du terme, depuis novembre 1966. La taille de son arsenal est inconnue, mais on l'évalue, grâce aux renseignements du Whistleblower Mordechai Vanunu en 1986, à "plusieurs centaines" d'ogives (sans doute 200 à 300). L'AIEA elle-même n'ignore rien de ses infrastructures de recherche (Nuclear Energy Handbook : Israël) ), dont les noyaux demeurent le réacteur de Dimona (entre 26 mgw et 150 mgw) construit à la fin des années 1950 avec la France et le réacteur de Nahal-Sorek (5 mgw), sortit de terre grâce au Etats-Unis en 1952 et soumis aux inspections de l'AIEA. L'Etat hébreu dispose également de vecteurs balistiques (Jericho-2 dont la portée est de 1500 km et Jericho-3 dont la portée est au moins de 4500 km), de missiles de croisière embarqués à bord de sous-marins et de bombes aériennes. Autrement dit, cette dissuasion est comparable à celle d'une grande puissance telle que la France. A l'inverse de l'Irak, de l'Iran, de l'Egypte ou de la Syrie, Israël n'a pas signé le TNP.

Faut-il s'en offusquer dans la mesure où les signataires ne respectent pas toujours les clauses du traité. A première vue, Israël bénéficie donc de ce fameux "deux poids, deux mesures". Rappelons que la France n'a adhéré au texte qu'en 1992, vingt-deux ans après l'Iran ! Trois ans plus tard, elle menait une dernière série d'essais atomiques dans le Pacifique avant de s'en remettre aux simulations. Les quatre autres EDAN n'ont jamais abandonné l'optimisation de leurs arsenaux, malgré le traité, et ont surtout été les premiers proliférateurs à travers le monde, y compris vers l'Iran, l'Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et Israël. Dès lors, pourquoi Israël ferait-elle confiance à un traité dépendant d'une agence qui ne dispose d'aucun moyens coercitifs et qui n'a rien pu faire contre le seul Etat à avoir quitté ce processus, la Corée du Nord ?

Israël refuse tout débat sur son arsenal car d'une part son environnement reste menaçant et, d'autre part, c'est une démocratie, sous-entendu que les démocraties ont tous les droits. Or, la communauté internationale n'a cessé de participer au démantèlement des programmes d'ADM des pays aux alentours, Egypte en 1979 (accord de Camp David I), Irak en 1991 et 2003, Libye en 2003. Lorsque les mesures coercitives n'ont pas suffit, Israël s'est chargé de détruire manu militari certains centres stratégiques, Osirak en 1981 ou Al Kibar en 2007, cela au mépris du droit international. Quant à la notion de démocratie, elle peut se discuter. Elle reste davantage une définition politique ne reposant guère sur des réalités empiriques. Aucun pays au monde n'est véritablement démocratique. Nonobstant cette opinion, Israël reste certes la seule démocratie de la région, qui accepte des députés arabes à la Knesset et qui autorise (peut-être trop) des commissions d'enquête à l'issu de chaque opérations armées (difficile d'imaginer l'équivalent "en face"). Cette démocratie n'est pas sans défauts (c'est le moins que l'on puisse dire, l'affaire du navire humanitaire attaqué le 31 mai en est la preuve flagrante). Mais l'Etat hébreu est un one state bomb, c'est-à-dire qu'à cause de sa superficie, il peut-être rayé de la carte par une seule ogive nucléaire. C'est pourquoi la possession de la bombe ne relève pas d'un choix seulement militaire mais d'une décision existentielle, surtout lorsque quelques pays et groupuscules souhaitent effacer Israël de la carte. Aussi, Tel-Aviv n'abandonnera probablement jamais cette science protectrice contre la fatalité naturelle. Selon Bruno Tertrais, "le nucléaire israélien n'est pas un obstacle à la paix. C'est l'absence de paix qui est un obstacle à la dénucléarisation d'Israël" (Journée d'études du FRS du 13 juin 2007, p. 23). Il est peut probable que Tsahal envisage sérieusement d'opter pour la vitrification d'un pays. A chaque fois, c'est l'armée conventionnelle qui a été privilégiée à l'extérieur, une stratégie matérialisée par la doctrine Begin.

Mais, au fait, pourquoi s'en prendre uniquement à Israël, alors que le Pakistan et l'Inde, Etats extérieurs au TNP et détenteurs de la bombe, n'ont jamais eu à affronter de coalition diplomatique sur leurs propres arsenaux ? Sont-ils aussi exposés à l'annihilation comme l'est Israël ? La Corée du Nord et le Pakistan sont-ils des exemples en matière de droits de l'homme ? Et l'Inde, la "plus grande démocratie au monde", ne pratique-t-elle pas une certaine forme de ségrégation sociale ? New Delhi et Islamabad n'ont-il jamais brandit la perspective de représailles atomiques ? Les Etats-Unis de monsieur Bush, la Russie de Poutine, la Chine Hu Jintao ont-elles le droit de disposer de l'arme absolue alors que les principes fondamentaux des droits humains n'y sont pas respectés. Cette focalisation sur Israël reste donc parfaitement hypocrite, au même titre mais dans une moindre mesure que celle incriminant l'Iran. Qui faut-il condamner ? Le détenteur d'armes nucléaires où ceux qui lui ont fournit l'assistance pour les posséder (La France, les Etats-Unis, la Norvège, la Grande-Bretagne, l'Afrique du Sud…, dans le cas israélien) ? De toute manière, adhérer au TNP ne signifie pas l'abandon de ses capacités. La seule question à se poser concerne l'aspect éthique de l'arme atomique en elle-même, si tant est qu'une arme soit éthique, légale et légitime.

Nicolas Ténèze, docteur en science politique et ATER à l'université de Toulouse Capitole. Sa thèse portait sur les paradoxes des capacités dissuasives de l'Etat hébreu.