L’attentat de Hanau devrait être un signal d’alarme pour les voisins de l’Allemagne

La chancelière Angela Merkel a qualifié la tuerie de Hanau de « crime de haine ». Elle a ainsi mis ces tirs mortels sur le même plan que la série d’attentats commise par le Parti national-socialiste souterrain (NSU) entre 2000 et 2011, l’assassinat du préfet Walter Lübcke en juin 2019 et l’attentat contre la synagogue de Halle en octobre 2019. Ces quatre actes terroristes ont en commun d’avoir profondément perturbé la perception qu’ont les Allemands d’eux-mêmes.

Ceux-ci se sont longtemps crus vaccinés contre toute dérive d’extrême droite grâce à leur maîtrise particulière du passé (le Vergangenheitsbewältigung) c’est-à-dire leur travail mémoriel sur le nazisme. Aucune autre société européenne n’a pu profiter d’une éducation civique aussi approfondie pour prévenir toute radicalisation. Mais aucun autre Etat européen ne peut être considéré à ce point comme étant le berceau de l’extrémisme de droite.

Dans son rapport annuel 2018, l’Office fédéral de protection de la Constitution a comptabilisé 24 100 militants d’extrême droite, et classé comme violents plus de la moitié d’entre eux. Le nombre de militants d’extrême droite violents a ainsi doublé presque tous les dix ans depuis 1990. Il est cependant extrêmement difficile de comparer ces chiffres alarmants dans un cadre de référence européen. Une étude comparative de la gravité des violences d’extrême droite dans les Etats membres de l’UE serait actuellement vouée à l’échec : les données sont collectées sur des bases différentes.

Bien que la prise de conscience politique et sociétale de la menace soit très récente, l’extrémisme de droite est une constante dans l’histoire de l’Allemagne de l’après-guerre. Encore aujourd’hui, le national-socialisme reste l’idéologie de référence de cette mouvance, même si les différents groupuscules ne sont pas homogènes idéologiquement et qu’ils ont adopté des comportements et une apparence nettement plus « modernes ».

Une nébuleuse plus complexe et volatile

Les crimes politiques commis par l’extrême droite n’ont cependant attiré que très peu l’attention jusqu’aux années 2000. Les services de renseignement se préoccupaient au premier chef, sous la menace de la Fraction armée rouge (RAF), des crimes commis par l’extrême gauche et, depuis quelques années, de ceux imputables au terrorisme islamiste et au djihadisme. Plus tard encore, le service de renseignement allemand qui surveillait les groupes extrémistes a commis une erreur stratégique en conservant une vision des années 1990.

Pendant des années, l’image que les pouvoirs publics avaient de l’extrême droite était celle de groupes fortement en désaccord entre eux – ce qui les affaiblissait –, avec des militants au crâne rasé, arborant Dr. Martens et blouson de cuir, caractéristique des années de la réunification. Désormais émerge la réalité d’une nébuleuse plus complexe et volatile, sur laquelle les procédures d’interdiction semblent avoir peu d’impact. Les frontières entre populisme de droite, extrémisme de droite et terrorisme de droite sont brouillées, et ces groupes sont capables de se transformer rapidement ou de passer dans la clandestinité.

Le danger émanant aujourd’hui de l’extrême droite est d’autant plus préoccupant qu’elle considère l’Etat de droit comme sa principale cible. Cela inclut des représentants politiques et des journalistes qui soutiennent, par exemple, une politique d’asile libérale. L’extrême droite vise les communautés juive et musulmane, qu’elle accuse de noyautage de la société. C’est le cœur des théories du complot qui ont inspiré le terroriste Anders Breivik [responsable des attentats d’Oslo et d’Utoya, en juillet 2011] et l’auteur des attentats de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, en mars 2019. Dans un climat politique tendu, notamment alimenté par la montée en puissance d’Alternative für Deutschland (AfD), l’extrême droite passe aujourd’hui plus rapidement à l’acte. Bien que très isolés, les groupes les plus radicalisés ont l’impression d’avoir le soutien d’une partie de la société allemande.

Indispensable coopération transfrontalière

L’attentat de Hanau devrait être un signal d’alarme pour les voisins de l’Allemagne. Pendant la présidence finlandaise de l’Union européenne (UE), au second semestre 2019, la proposition soutenue par l’Allemagne et les pays scandinaves d’un enregistrement conjoint des groupes d’extrême droite n’a pas réussi à obtenir une majorité. Europol et la Commission européenne mettent en garde contre l’absence de critères uniformes pour qualifier et enregistrer les actions de l’extrême droite violente, alors qu’une coopération transfrontalière serait indispensable.

Des groupes tels que les Hammerskins, particulièrement surveillés par l’Office fédéral de protection de la Constitution en raison de leurs connexions internationales, Blood & Honour, déjà officiellement interdit en Allemagne, ainsi que Combat 18, qui vient d’être classé en janvier comme organisation d’extrême droite illégale, se sont réorganisés sous de nouvelles étiquettes. Surtout, ils coopèrent avec des groupes similaires dans différents pays de l’UE mais aussi en dehors, par exemple aux Etats-Unis.

Le rapport sur la situation et les tendances du terrorisme dans l’Union européenne (TE-SAT), publié par Europol, définit aujourd’hui les références-clés de l’extrême droite en Europe, comme l’anti-antifascisme ou le paramilitarisme, particulièrement répandu en Europe de l’Est. Les cellules terroristes néonazies se réfèrent à la « résistance sans leader », thème emprunté au suprémaciste blanc américain Louis Beam. Elles revendiquent l’approche du « loup solitaire », exemple type d’une radicalisation transfrontalière par Internet. Un tiers seulement des Etats membres de l’UE ont jusqu’à présent déclaré avoir un problème avec le terrorisme de droite. La question est de savoir si l’UE est suffisamment équipée – et surtout consciente de l’urgence – pour faire face à cette menace, qui ne se limite pas au territoire allemand.

Nele Wissmann est chercheuse associée à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Elle est notamment l’auteure de la note « Le Terrorisme d’extrême droite en Allemagne. Une menace sous-estimée ? », Notes du Cerfa, n151, IFRI, décembre 2019.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *