L’attentat du Bardo souligne l’énorme défi sécuritaire dans une Tunisie en transition

L’attentat revendiqué par l’Etat islamique au musée du Bardo de Tunis a profondément choqué la population ainsi que la communauté internationale.

Les Tunisiens venaient d’adopter une nouvelle Constitution et avaient démocratiquement élu leur parlement pour la deuxième fois à la fin de l’année passée. En outre, la formation du nouveau gouvernement d’Habib Essid en février s’était faite dans l’esprit de compromis qui a empêché le déraillement de la transition démocratique dans le pays à plusieurs reprises au cours des trois dernières années. Autant de pas en avant qui semblaient très prometteurs, et qui peut-être ont été en soi une raison pour commettre cet attentat.

Mais derrière l’image d’un îlot de stabilité au sein d’une région turbulente, la réalité est bien plus sombre. Depuis la chute de l’ancien président, Zine El-Abidine Ben Ali, le pays a connu une augmentation d’actions violentes, dont les plus emblématiques sont l’attentat contre l’ambassade américaine en 2012 et l’assassinat des politiciens Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, en 2013. On suppose que le groupe salafiste djihadiste censé être derrière l’attaque, Ansar Al-Charia, a des liens avec Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Jusqu’ici, c’était les forces de sécurité tunisiennes qui étaient visées par les groupes djihadistes. La prise d’otages au Musée du Bardo à Tunis étant le premier à cibler l’industrie de tourisme, qui n’avait pas encore récupéré de la forte baisse entre 2010 et 2011.

Un autre aspect du problème djihadiste dans le pays est le retour des combattants étrangers. La Tunisie est le premier exportateur, per capita, de combattants étrangers au conflit syrien. On estime à quelque 3000 le nombre de Tunisiens partis pour faire la guerre en Syrie depuis le début du conflit en 2011. La plupart d’entre eux ont rejoint l’Etat islamique ou le Front Al-Nosra, un groupe dissident d’Al-Qaida en Irak. Selon le gouvernement tunisien, environ 400 de ces combattants sont retournés au pays. Le risque qu’ils pourraient poser à la sécurité nationale est déjà palpable: certains individus qu’on estime avoir combattu en Syrie ont déjà été arrêtés pour avoir planifié des attentats contre le gouvernement et des bâtiments civils.

Un certain nombre de facteurs expliquent la croissance du militantisme et de la violence salafiste en Tunisie à la suite du départ de Ben Ali. Sous le régime de ce dernier, les islamistes étaient fortement réprimés. Après l’attentat à Djerba en 2002, une politique antiterroriste a débouché sur des arrestations et des incarcérations massives. Malgré ces mesures, les réseaux de djihadistes ont survécu. Ces réseaux ont transféré des combattants vers les zones de conflit. Or, peu après la chute de Ben Ali, le gouvernement a libéré les militants emprisonnés pendant les années 2000, dont un certain nombre ayant combattu dans des conflits étrangers. Dans le même temps, des salafistes non violents mais aussi des djihadistes sont retournés en Tunisie, profitant de la nouvelle tolérance religieuse dans le pays.

Le parti islamiste Ennahda, qui s’est imposé, lors des premières élections démocratiques en Tunisie, comme la force politique la plus importante de la coalition gouvernementale, a souvent été accusé d’être trop tolérant envers les salafistes. Ce n’est qu’après seulement qu’Ansar Al-Charia eut revendiqué l’attentat contre l’ambassade américaine que le gouvernement s’est mis à poursuivre de façon plus volontaire les courants salafistes violents.

Si les Tunisiens ont pu témoigner de l’apparition d’une plus grande liberté religieuse depuis la révolution de 2011, certains éléments ont très peu évolué. Beaucoup de Tunisiens connaissent une situation socio-économique moins favorable qu’avant la révolution. Cela est notamment le cas des habitants des régions pauvres à l’intérieur et au sud du pays. C’est justement dans ces régions défavorisées, comme celle de Kasserine, où le militantisme est particulièrement monté en flèche. Pas plus tard qu’au mois de février, le groupe salafiste djihadiste Okba Ibn Nafi, ancienne franchise d’AQMI qui flirte désormais avec l’Etat islamique, a lancé des attaques contre les forces de sécurité dans la région.

Face à ces défis, le gouvernement tunisien est entré de plain-pied dans la lutte antiterroriste. Ses opérations se concentrent essentiellement autour du Mont Chaambi, dans le gouvernorat de Kasserine, près de la frontière avec l’Algérie, où s’abritent Okba Ibn Nafi et d’autres combattants d’AQMI. Cependant, la frontière avec l’Algérie est poreuse et difficile à surveiller, surtout pour des forces de sécurité tunisiennes sous-équipées. La frontière avec la Libye, où les hommes responsables de l’attaque à Tunis avaient appris le maniement des armes, pose également problème.

Egalement problématique, le manque de confiance entre la population locale et les forces de sécurité. Cela est dû aux pratiques policières qui sont encore largement similaires à celles de l’époque de Ben Ali. Un des grands défis du nouveau gouvernement Essid sera d’élaborer une approche antiterroriste qui combatte non seulement les groupes armés, mais aussi les causes du djihadisme salafiste.

Certes, on peut s’attendre à plus d’attentats. Malgré tout, l’inclusion d’un parti islamiste modéré dans le système politique et la fermeté avec laquelle la société civile réagit à la violence signifient que la transition ne sera pas aussi facilement interrompue en Tunisie.

Lisa Watanabe, Chercheuse au Centre d’études de sécurité (CSS) à l’EPFZ.

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