L'attitude agressive de la Chine correspond à un sentiment d'incertitude du régime

Un rapport récent publié par Jane's Defense prévoit que le budget de défense de la République populaire de Chine (RPC) aura doublé en 2015, pour atteindre 238,2 milliards de dollars, avec un taux de croissance annuel de 18,75 %. Il s'agit là du prolongement d'une tendance lourde. La Chine connaît, depuis le début des années 1990, un taux d'augmentation annuel moyen de son budget de la défense à deux chiffres proche de 15 % par an.

Mais au-delà du budget, deux éléments sont à prendre en compte dans l'analyse de la montée en puissance sur le long terme des capacités militaires de la RPC. Le premier élément est l'imbrication très étroite, revendiquée par les autorités, des industries civiles et militaires, qui mettent au service des capacités militaires toutes les ressources de la recherche et des progrès accomplis dans l'industrie civile de haute technologie.

Le second élément réside dans l'attitude des autorités chinoises qui, en réponse aux demandes de "transparence", ont adopté une position beaucoup plus offensive quant à la légitimité de cette montée en puissance. Si le chiffre officiel du budget de la défense pour 2011, de 91,5 milliards de dollars, demeure inférieur aux estimations publiées à l'étranger, il situe sans complexe la Chine au deuxième rang des dépenses militaires dans le monde, loin derrière les Etats-Unis, mais aussi loin devant l'ensemble de ses voisins asiatiques, Japon compris, pris individuellement ; très loin devant la Russie, et de plus en plus loin aussi devant les grandes puissances militaires européennes. L'effort chinois est donc impressionnant et, plus préoccupant, il s'accompagne d'un manque de transparence non pas tant sur les chiffres que sur une posture stratégique généralement perçue comme agressive.

Signe de cette évolution sensible depuis la fin des années 2000, la RPC ne renonce pas au concept d'intérêt vital, élargi aujourd'hui à un espace maritime sur lequel Pékin aimerait pouvoir imposer son contrôle, si ce n'est sa souveraineté, défiant par ses déclarations, la multiplication des incidents et des manœuvres militaires, à la fois l'ensemble de ses voisins de l'Asie orientale mais également les puissances soucieuses du maintien d'un droit de libre passage dans la région, à commencer par les Etats-Unis. Cette assurance nouvelle, et les revendications nationalistes qui l'accompagnent, bien plus que le discours officiel sur la protection des voies de communication et la globalisation des intérêts et du rôle de la puissance chinoise sur la scène internationale, dessinent la carte des ambitions de Pékin et des nouvelles missions confiées à l'APL par le président Hu Jintao en 2004. Ce sont ces éléments qui déterminent les efforts accomplis par la RPC en matière de développement de ses capacités militaires.

Mais cette attitude plus agressive est aussi paradoxale et correspond en réalité à un sentiment croissant d'incertitude qui pèse sur le régime chinois. Incertitudes internes, auxquelles répond un budget de la sécurité qui dépasse aujourd'hui que celui de la défense. Incertitudes externes, face à la stratégie de retour en Asie prônée par les Etats-Unis, qui répond aux attentes de la majeure partie des pays de la région. Face à ce retour des Etats-Unis, et pour dans le même temps accroître sa marge de manœuvre face à Taiwan en cas de nécessité, Pékin a choisi de mettre en œuvre une stratégie asymétrique d'interdiction, dont l'objectif est d'augmenter considérablement le coût éventuel pour Washington d'une intervention en Asie. Si cet objectif demeure pour une très large part illusoire, c'est pour y parvenir que la RPC consacre une part majeur de ses efforts budgétaires au développement de ses capacités militaires. A ceci s'ajoutent le rôle joué par les éléments les plus nationalistes au sein du Parti et de l'armée, et les intérêts catégoriels, qui influent aussi sur l'augmentation du budget de la défense de la RPC.

Face à ces évolutions, on voit émerger en Asie une forme de course aux armements, ou au moins de rattrapage, dont le premier objectif est bien de répondre à cette montée en puissance des capacités militaires de la RPC. C'est le cas au Vietnam, c'est le cas aussi en Inde, où le "facteur Chine" constitue une motivation importante  des efforts budgétaires de New Delhi en matière militaire.

Pour l'Inde, il s'agit aujourd'hui de crédibiliser la capacité dissuasive de ses forces nucléaires face à la Chine tout en préservant son statut de puissance leader dans l'océan indien. Les efforts que l'Inde doit accomplir en la matière sont ainsi bien plus considérables que si les objectifs de sa défense demeuraient cantonnés au cadre strictement sous-régional. Si l'ensemble des pays émergents semblent décidés à consacrer une part croissante de leurs nouvelles capacités d'investissement au développement de leurs capacités militaires, il existe toutefois en Asie, qui est également le lieu de la plus forte croissance économique dans le monde une dynamique spécifique, autour de la montée en puissance de la RPC, particulièrement préoccupante et potentiellement déstabilisatrice pour l'ensemble du globe.

Par Valérie Niquet, responsable du pôle Asie de la FRS.

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