L’austérité, un leurre inefficace pour l’Europe

De la sueur, du sang, des larmes ! L’austérité économique serait l’unique réponse face à la crise selon le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, qui a encore appelé la France à réduire la dépense publique en début de semaine dernière. Il faudrait courber l’échine, se repentir de nos politiques sociales dispendieuses, travailler plus, gagner moins, s’appauvrir avec sérieux. Le discours est rodé, relayé encore et toujours, comme une fatalité économique : soyons raisonnables, austères.

Et pourtant l’austérité est un leurre. A tous les niveaux. Ceux qui vous racontent cette histoire le savent d’ailleurs parfaitement. L’austérité, c’est l’abaissement du travail, c’est l’appauvrissement des plus pauvres, des emprunteurs, des jeunes, de la France de demain. L’austérité nuit à la mobilité sociale, à la redistribution des richesses, son action désinflationniste laisse l’argent dans les mains de ceux qui le possèdent et accable l’investissement. L’austérité vise à culpabiliser les plus fragiles, ceux qui bénéficient de transferts, comme si la crise économique était la faute des petits retraités, des chômeurs, des jeunes, des classes trop moyennes pour espérer gravir l’échelle sociale. Le discours est habile et cruel, il transforme les victimes d’une économie dérégulée et prédatrice en coupables bons pour la repentance. Guère étonnant dès lors que la morale s’invite dans les exhortations à se serrer la ceinture. Ne soyons pas dupes, derrière le mot austérité se cache un nouveau modèle de société, moins solidaire, moins équitable, dont la grande vertu serait de substituer à l’égalité de fait une prétendue égalité des chances.

Mais non, l’austérité ne renforcera pas l’égalité des chances, encore une prophétie absurde. Affaiblir les services publics, l’éducation, la sécurité renforcera les inégalités, sclérosera plus encore une société en manque de mobilité. La santé privée, l’éducation privée, la culture payante. Partout où reculera le service au public, avancera la reproduction des élites, une société de castes, cette sensation désormais bien installée dans notre pays qu’il y a un complot, que la mondialisation et le système nous détruisent. Ainsi l’austérité n’est bonne qu’à exacerber les ressentiments, à faire monter les nationalismes, les extrémismes. L’austérité, c’est l’humiliation, un sentiment dont les peuples ne se repaissent pas. Une fracture de notre société. L’austérité, c’est la mort du vivre-ensemble.

L’austérité n’est pas efficace non plus. Rien ne montre ses vertus économiques. Passons sur la Grèce, qui serait un exemple trop facile pour notre propos. Passons aussi les discours de Stiglitz, de Piketty, ces grands économistes qui ont démontré l’absurdité de l’austérité aveugle. Passons sur le fait que le Fonds monétaire international lui-même a publié depuis 2010 plusieurs rapports pointant l’inefficacité des politiques menées dans l’UE entre 2009 et 2013. Intéressons-nous plutôt à ce qu’il en est des faits récents en Espagne et au Portugal. L’Espagne connaît un dynamisme économique exceptionnel en Europe depuis un an. Le chômage, bien que toujours trop fort, est en baisse, et la croissance a dépassé les 3 % en 2016. Les moteurs de cette croissance sont le tourisme et la consommation intérieure. Les exportations aussi me direz-vous, sauf que le rythme de croissance des exportations espagnoles reste inférieur à celui moyen des dix dernières années précédant la crise de 2008. Alors même que, durant ces années, l’Espagne serait censée avoir perdu sa compétitivité coût, notamment à cause du prix de sa main-d’œuvre. La réduction du coût du travail a peu joué. Le moteur des exportations en Espagne est en fait insuffisant, en dépit des sacrifices consentis par les travailleurs espagnols. Outre le tourisme, qui «bénéficie» d’une baisse d’attractivité des pays du Maghreb et du Moyen-Orient, le regain de croissance repose sur la consommation des ménages faisant suite à l’arrêt de la politique d’austérité du gouvernement espagnol à l’approche des élections. Cette politique a redonné confiance aux ménages qui ont consommé, et la croissance perdue à cause de la crise et de l’austérité est en phase de rattrapage. Que dire du Portugal ? Sinon que tous les indicateurs sont au vert depuis l’arrivée des socialistes au pouvoir, ceux qui ont augmenté le smic, ceux à qui on prédisait des lendemains qui déchantent et dont le pays connaît une hausse de la croissance, un excédent primaire, une baisse du chômage.

En dépit de ces améliorations, qui doivent si peu à l’austérité, les dégâts des politiques expiatoires ne manqueront pas d’être durables. Les inégalités ont augmenté à tous les niveaux : social, générationnel, géographique. Un prix lourd à payer pour une politique inefficace. Une trace durable pour l’économie des pays, car le moindre investissement dans la jeunesse, les années de croissance morne, l’accroissement du ratio de la dette qui en résulte ne manqueront pas de peser durablement.

Ne nous aveuglons pas, la situation des finances publiques est une préoccupation majeure en Europe. De même que la compétitivité des entreprises qui est un enjeu central. Ces préoccupations sont légitimes et ne peuvent être corrigées par des incantations qui nous mèneront au désastre économique et social. Pas plus que l’austérité, le renoncement à tous nos engagements n’est une solution envisageable.

L’Europe est sur la brèche et le quinquennat d’Emmanuel Macron est crucial pour décider de notre avenir. Le rééquilibrage européen doit être coordonné. La réforme européenne proposée par les sociaux-écologistes est la seule capable de redonner voix aux peuples et de susciter l’adhésion des autres pays, y compris l’Allemagne. Cette coordination permettra de stimuler la demande et d’orienter l’épargne là où elle est nécessaire. Elle servira l’investissement productif, celui qui renforce l’économie, produit de la croissance, transforme les modes de production pour les rendre plus écologiques, offre de nouveaux emplois et celui qui produira des excédents budgétaires, lesquels sauvegarderont nos services publics, pour plus de mobilité sociale, plus d’égalité de fait et de chances. La raison n’interdit pas une vision, moins encore quand cette dernière soulève un espoir économique et social pour les Français et les Européens.

Gabrielle Siry, candidate social-écologiste aux législatives sur la 5e circonscription des Français de l'étranger (Andorre, Espagne, Monaco, Portugal), et secrétaire nationale de l'économie au PS.

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