L’autoritarisme est-il le destin de l’Europe de l’Est?

On n’avait peut-être pas bien vu: on croyait que débarrassée du joug stalinien, l’Europe centrale et orientale serait l’Europe comme on la vit à l’Ouest, c’est-à-dire, pour faire vite, dans des Etats démocratiques, laïcs, ouverts, respectueux des droits et des libertés. L’impatience des anciens pays du bloc soviétique à vouloir adhérer à l’Union confortait la perception d’une identité de valeurs sur tout l’espace européen que seule le méchant partage de Yalta en 1945 avait temporairement (1945-1990) masquée. Dans l’euphorie de la chute du mur de Berlin, on se sentait un peu polonais, tchèques, hongrois. Je lisais avec bonheur l’historien polonais Bronislaw Geremek qui nous trouvait des sources communes dans les tréfonds du Moyen-Âge. J’aimais croire que les Misères des petits Etats d’Europe de l’Est dénoncées par l’intellectuel hongrois István Bibó appartenaient à un passé révolu. Puis sont venues des élections hongroises contraires à l’image qu’on se faisait de la Hongrie. Puis des élections polonaises sur le même modèle. Puis, on a entendu le président de la Tchéquie déclarer que ses désaccords avec son premier ministre sur les réfugiés pourraient aussi bien se régler à la kalachnikov. Ce sont des manières étrangères au bréviaire européen d’aujourd’hui.

L’histoire reprend l’Union européenne à la gorge

On peut se rassurer du fait que des Polonais, des Tchèques et des Hongrois se sentent un peu français, anglais ou allemands, membre d’une Union justifiant leurs convictions et les nôtres. Mais ils ne sont plus assez nombreux pour faire régner chez eux un ordre démocratique ouvert, «à l’européenne». Ils s’insurgent, ils manifestent. On les soutient. L’espoir de les voir conquérir une hégémonie politique et culturelle durable n’est cependant pas au plus haut. L’autoritarisme est-il le destin de l’Europe de l’Est?

L’histoire reprend l’Union européenne à la gorge. Les sociétés qui ont formé leurs Etats sur l’espace mouvant compris entre les empires russes, autrichien et allemand; qui ont été occupées, piétinées, déplacées ou supprimées – en dernier par le Reich nazi et l’URSS stalinienne –, n’ont pas la confiance des sociétés épargnées ou victorieuses de leurs agresseurs. Une mémoire du danger les habite. Un désir d’en triompher les obsède.

La crise des réfugiés, un révélateur

Privées de leur diversité historique par la destruction des juifs et l’épuration ethnique de l’après-guerre – dont elles portent une conscience malheureuse sinon coupable –, les sociétés est-européennes n’ont plus pour se justifier que l’argument identitaire: la Pologne est l’Etat des Polonais, la Hongrie celui des Hongrois, la Croatie celui des Croates et ainsi de suite. La crise des réfugiés a révélé toute la brutalité de cet exclusivisme: lorsque le pape François recommande aux Est-Européens d’accueillir les demandeurs d’asile, l’évêque d’un diocèse méridional de la Hongrie, Laslo Kiss-Rigo, lui répond qu’il «ne connaît pas la situation» et qu’en réalité les musulmans cherchent à s’emparer du pays.

A la représentation identitaire étroite de l’Etat s’ajoute la peur de son affaiblissement par les pratiques démocratiques qui n’ont pas de racines profondes dans cette partie du monde. Preuve en est la confusion qu’entretiennent les Viktor Orban ou Jaroslaw Kaczynski entre libéralisme et démocratie. Qu’ils n’aiment pas le libéralisme comme philosophie politique est une affaire de goût, une préférence aussi légitime qu’une autre. Mais sous l’étiquette fumeuse de «démocrates non libéraux», c’est la démocratie qu’ils attaquent en supprimant un à un ses instruments institutionnels, la liberté de la presse, l’indépendance de la justice, la protection des droits de l’opposition.

Deux Europe, deux produits de l’histoire

On découvre ainsi deux Europe, deux produits de l’histoire dont on avait minimisé ou occulté les différences. Sans avoir de leçons à se donner l’une à l’autre, hormis sur le respect des engagements réciproques signés, elles ont à vivre ensemble dans un projet qui se complique à chaque complication surmontée. Si vous avez des lectures à me proposer, pour ce moment-ci!

Joëlle Kuntz est une journaliste et écrivaine franco-suisse.

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