L’avenir de l’Europe se joue bien en Catalogne

Des sympathisantes indépendantistes acclament Carles Puigdemont, le président du gouvernement catalan, et Ada Colau, la maire de Barcelone, le 24 septembre. Photo Jon Nazca. Reuters.
Des sympathisantes indépendantistes acclament Carles Puigdemont, le président du gouvernement catalan, et Ada Colau, la maire de Barcelone, le 24 septembre. Photo Jon Nazca. Reuters.

Le référendum d’indépendance du 1er octobre en Catalogne est un enjeu européen qui touche le cœur des valeurs du projet communautaire. Pour le comprendre, il faut d’abord en finir avec l’idée que tout ce qui remet en question la sacro-sainte souveraineté étatique est aussi dangereux pour l’avenir communautaire. Contrairement à ce qu’avançait Maxime Forest dans ces colonnes (1), la demande d’autodétermination de la minorité catalane est légitime, pacifique et démocratique et ne met pas en danger l’avenir de l’Europe entière.

Il faut comprendre ce qui a mené le Parlement catalan à mettre en place une stratégie référendaire unilatérale et à approuver une «loi référendaire» qui n’a rien de surprenant en politique comparée. L’Ecosse (2014), le Québec (1980, 1995) ou Puerto Rico (2017), pour ne nommer que ces exemples, n’ont-ils pas voté sur leur avenir constitutionnel ?

Depuis le refus de la part du Tribunal constitutionnel espagnol, en 2010, du projet d’amélioration de l’autonomie politique catalane par une réforme statutaire (votée par référendum par le peuple catalan), le gouvernement et le parlement catalans ont demandé une quinzaine de fois la permission à Madrid d’organiser une consultation sur l’indépendance catalane. Deux lois référendaires et une initiative législative régionale ont été refusées par les institutions centrales. Après des mobilisations populaires historiques, le 9 novembre 2014, la société civile et le gouvernement du président Artur Mas ont organisé une consultation non contraignante sur la question de la souveraineté avec la participation de plus de 2,3 millions d’électeurs (environ 40 % du corps électoral).

Le refus de Madrid d’entendre la demande d’un référendum concerté a poussé les forces politiques catalanes à former un gouvernement souverainiste issu d’une coalition électorale idéologiquement diverse qui s’appuie sur une majorité parlementaire (72 députés) et 48 % du vote populaire. Selon les sondages, plus de 75 % des Catalans souhaitent la tenue d’un référendum sur l’indépendance.

Le projet européen, fondé sur la paix et la démocratie, est aussi un projet de fédéralisation qui, à plus long terme, souhaite aller au-delà des frontières étatiques. Il s’agit de rendre compatibles le souhait des peuples de s’autogouverner avec le vivre-ensemble de tous les Européens qui partagent une même citoyenneté. L’article 2 des traités communautaires (TUE) consacre la démocratie, mais aussi le respect des personnes appartenant à des minorités, comme des valeurs fondatrices de l’Union avec la dignité humaine, la liberté, l’égalité et l’Etat de droit.

Les Catalans, comme les autres peuples de l’Espagne, connaissent très bien ces valeurs. Les mots prononcés par le musicien Pau Casals à l’ONU en 1971, lorsqu’il rappelait la tradition de lutte pour la paix des Catalans alors que l’Espagne se trouvait encore sous le joug de la dictature franquiste, ne sont pas des «faits alternatifs». La minorité catalane s’est beaucoup investie pour faire de l’Espagne un pays pluriel et y exercer son droit à l’autodétermination. C’est en jouant de leur statut de minorité nationale que les institutions catalanes (la Generalitat) ont récupéré leur autonomie politique, avant même de participer et de s’incorporer à la Constitution espagnole de 1978 lors du retour du président catalan, Josep Tarradellas, de son exil français à Saint-Martin-le-Beau. L’Europe faisait aussi partie des espoirs des Catalans pendant la dictature de Franco et après. Avant le traité de Maastricht, le président catalan avait déjà participé à la création des institutions régionales européennes pour représenter les collectivités territoriales. La création du Comité européen des régions fut aussi un produit de ces efforts en coordination avec d’autres peuples et régions.

Malheureusement, les efforts du catalanisme politique pour se faire entendre au pouvoir central n’ont pu empêcher l’imposition d’un projet étatique centraliste de la part de Madrid. Encore aujourd’hui, le Sénat espagnol, chambre territoriale selon la Constitution, demeure une chambre sans pouvoir législatif représentant essentiellement les provinces à la place des Communautés autonomes. L’unitarisme ultramontain du royaume de l’Espagne est réfractaire à toute idée de changement touchant à la primauté du principe nationaliste espagnol, comme on a pu le constater lors du projet statutaire catalan en 2006. L’Etat est prêt à dépasser toutes les limites, même les droits fondamentaux de ses propres citoyens, contre un mouvement pacifique et démocratique plutôt que de chercher une issue négociée à la crise constitutionnelle. La Constitution espagnole est devenue une camisole de force pour le peuple catalan. Depuis des années, aucune proposition sérieuse n’a été faite par les majorités politiques espagnoles pour réviser l’insertion des minorités nationales en Espagne. En résumé, les forces politiques espagnoles ont brisé l’accord constitutionnel de 1978, qui permettait une lecture beaucoup plus ouverte, en soutenant une interprétation hostile aux demandes considérées comme «périphériques». Au contraire, le gouvernement du conservateur Mariano Rajoy a profité de la crise économique pour restreindre les pouvoirs régionaux et a saisi le Tribunal constitutionnel contre des lois sociales régionales qui ont été suspendues ou déclarées inconstitutionnelles.

Le cœur de beaucoup de Catalans reste attaché à l’idée d’une fédération avec les autres peuples ibériques. Mais pour cela, il faut d’abord faire reconnaître son existence comme sujet politique souverain. Le projet souverainiste catalan ne cherche pas à bâtir des frontières mais, au contraire, à les ouvrir aux autres peuples. L’Europe doit choisir entre soutenir une monarchie ancrée sur son passé autoritaire, incapable d’héberger ses propres minorités, et l’opportunité de mettre en valeur son projet libéral-démocratique.

Marc Sanjaume-Calvet, chercheur et conseiller à l’Institut d’Estudis de l’Autogovern et professeur invité à l’Universitat Pompeu Fabra (Barcelone).


(1) Libération du 21 septembre.

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