Le BCG, ce «bacille de paille» essentiel pour notre immunité

De vaccins contre la tuberculose à l'Institut Pasteur, à Paris, en 1931. Photo Getty Images
De vaccins contre la tuberculose à l'Institut Pasteur, à Paris, en 1931. Photo Getty Images

Quand Camille Guérin et Albert Calmette inventent le vaccin BCG, ils préfigurent ce que deviendront l’immunité entraînée et la réponse inflammatoire de l’hôte. Dans des propos enregistrés à l’Institut Pasteur de Paris en… 1948, le professeur Camille Guérin l’explique de façon époustouflante : «La question était de savoir s’il était possible de créer un faux bacille de Koch. Une sorte de bacille de paille, un bon p’tit bonhomme de bacille. Bien inoffensif, vaincu d’avance mais assez ressemblant toutefois. Héberger ce bacille dans l’organisme avant l’arrivée du vrai, du bacille de Koch. Cette fois, afin de pouvoir déclarer le moment venu à celui-ci: "Pardon, ici vous êtes déjà passé ! Vous pouvez vous retirer !" Créer ce bacille, réserver sa place au premier occupant, c’était donner à l’organisme l’avantage sans avoir l’inconvénient de la réaction positive, sans le moindre risque. C’est ce bacille que Monsieur Calmette et moi-même avons créé.»

Ce texte, déclamé par Camille Guérin dans le seul enregistrement jamais filmé et jamais diffusé que nous lui connaissons, est une pépite, une pure merveille et, ceci, à plus d’un titre. Tout d’abord, la science et la poésie, presque drolatique, se mêlent avec une harmonie, une simplicité et une humanité incroyables. Cette même humanité et ce même partage qui ont accompagné et caractérisé la vie et l’œuvre commune d’un vétérinaire (Guérin) et d’un médecin de marine (Calmette) qui, un jour, se sont rencontrés à Lille et se sont reconnus pour combattre le bacille de Koch et, ainsi, vaincre la tuberculose et sauver le monde de ce fléau.

Le «p’tit bonhomme de bacille» d’Albert et de Camille est un gentil bacille qui est «hébergé dans l’organisme» avant l’arrivée du vrai méchant. Le «Koch à corps» en quelque sorte… La notion intuitive du bacille vivant hébergé, telle que d’ores et déjà annoncée par Camille Guérin et nécessaire pour éduquer l’immunité, sera démontrée expérimentalement par d’autres scientifiques beaucoup plus tard. L’anticipation et la compréhension de Camille Guérin dans son message de 1948, année d’obligation vaccinale en France, sont stupéfiantes. Le «bacille de paille» sert donc d’épouvantail, bien inoffensif mais de nature, tout de même, à chasser les bacilles rapaces et à défendre les épis blonds des habitants de la terre face à la grande faucheuse. Et avec la manière et la politesse vaccinales, s’il vous plaît: «Pardon, ici vous êtes déjà passé ! Vous pouvez vous retirer !»

Rappelons que Camille Guérin et Albert Calmette, bienfaiteurs de l’humanité, n’ont jamais déposé de brevet de leur invention car ils souhaitaient offrir le BCG, leur bacille bovin, au plus grand nombre pour combattre la tuberculose partout sur la Terre. Et d’ailleurs, comme le dit la chanson de Line Renaud, originaire du nord comme le BCG, «Où vas-tu [Bacille] avec cette vache à lait ? Je vais à la ville la vendre au marché. Ta vache a la fièvre, la vendre est bien compliqué…» (Paroles Géo Bonnet et musique de Louis Gasté. Par Jacques Hélian et Line Renaud, 1949).

Et puis, Camille Guérin nous réserve le meilleur pour la fin, une vision proprement inouïe. Il faudra à nouveau aux scientifiques près d’un siècle pour redécouvrir et décortiquer ces fameux concepts de l’immunité entraînée ou éduquée et de la réponse inflammatoire de l’hôte, les appréhender et les digérer. Et les bases sont déjà jetées dans le propos de Camille Guérin qui les ressent et les nomme à sa façon. Ainsi, «créer ce bacille, réserver sa place au premier occupant, c’est donner à l’organisme l’avantage sans avoir l’inconvénient de la réaction positive, sans le moindre risque», c’est de cela dont il s’agit. Tout simplement.

Aujourd’hui, alors que la tuberculose est encore une des premières maladies infectieuses au monde, le vaccin BCG est menacé de pénurie et est contingenté. C’est évidemment très regrettable, d’autant que le concept d’immunité entraînée, selon lequel le BCG pourrait permettre de préparer l’organisme et d’éduquer les cellules immunitaires (lymphocytes, cellules Natural Killer, monocytes et macrophages), offre des perspectives immenses. Dans la continuité des travaux et de l’esprit de Calmette et Guérin, d’une incroyable modernité, la lutte contre le bacille de Koch avec le BCG pourrait s’étendre à de nombreuses pathologies, parmi lesquelles diverses infections bactériennes ou virales, les maladies auto-immunes, le diabète de type 1, l’athérosclérose, certains cancers et, possiblement, la Covid-19.

Dans le contexte de la terrible pandémie qui nous frappe, un faisceau d’arguments (études physiopathologiques et écologiques à ce stade) porte ainsi à penser que la vaccination BCG pourrait permettre, par des propriétés non spécifiques, de prévenir la propagation et les formes sévères de la maladie. Des essais cliniques sont en cours aux Pays-Bas, en Australie, aux Etats-Unis, en Allemagne et en France. Les premiers résultats sont attendus en octobre. Le contrôle par le BCG de la réponse inflammatoire de l’hôte, c’est-à-dire nous, qui transparaissait déjà dans les propos du professeur Camille Guérin en 1948 pourrait donc être salvateur. L’intuition, la vision et le concept avant-gardiste qu’ils ont patiemment construit avec le professeur Albert Calmette laissent sans voix, offrent des armes et redonnent espoir. Proprement génial…

Par Laurent Lagrost, Directeur de recherche à l’Inserm et Sylvain Thénault-Guérin, président de l’Association Camille Guérin.

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