Le boom économique de l’Inde ne doit pas faire oublier sa pauvreté

Juste avant Noël 2012, l’Inde a rencontré l’Inde. Elle a découvert que le dividende démographique n’était pas juste un nombre à diviser et à combiner avec les castes, la corruption, le patriarcat et les groupes religieux, pour les voix des électeurs. Cette nouvelle Inde a de longs bras, des jambes agiles, des aspirations gigantesques, des téléphones cellulaires, et elle a grandi. En 2020, l’Indien moyen sera âgé de 29 ans. Aujourd’hui, l’âge moyen des politiciens est de 65 ans.

En 2013, l’Inde rencontrera l’Inde plusieurs fois tandis que le pays se préparera à se rendre aux urnes en 2014, lorsque quelque 620 millions d’Indiens voteront dans le cadre du plus grand exercice démocratique connu au monde. Espoirs et divergences se profilent. Lorsque la violente vague de protestation a éclaté suite au viol collectif d’une étudiante à Delhi le 16 décembre 2012, mettant le doigt sur l’effondrement total de la loi et de l’ordre dans le pays, une pancarte portée par les femmes a résumé succinctement la colère de la jeunesse. On pouvait y lire: «Ma voix est plus haute que ma jupe.»

L’aspiration est la nouvelle corde vocale de l’Inde, qui recherche responsabilité et justice comme jamais auparavant. La majorité des Indiens manquent d’eau, d’électricité, de soins et de systèmes sani­taires. Une étude de l’Université d’Oxford dit que 650 millions ­d’Indiens – 53,7% de la population totale – vivent dans la pauvreté. La destination favorite des investisseurs du monde entier s’est muée en point d’interrogation. Tous les partis politiques partagent la responsabilité d’une corruption enracinée et endémique qui dévore la plupart des projets en faveur du développement économique, de la croissance et de l’investissement.

Les hommes et femmes d’affaires disent qu’ils évitent les secteurs exigeant une collaboration étroite avec le gouvernement – les routes, les ports, l’énergie, les réformes agricoles – car ils craignent les caprices des politiciens. En 2011, Ratan Tata, icône du conglomérat Tata Group, a fait publiquement état de ses préoccupations concernant un possible retour en arrière du pays vers le bureaucratisme et les pratiques dépourvues de transparence. En décembre 2012, lorsqu’il a passé à son successeur le relais du groupe, qui réalise un chiffre d’affaires dépassant les 100 milliards de dollars, il a indiqué un optimisme prudent.

En pleine préparation des élections, le gouvernement de la coalition essaie de trouver un équilibre entre réformes et populisme. Récemment, il a encouragé les investissements directs étrangers (IDE) dans le commerce de détail multimarques, une initiative largement saluée par les entreprises inter­nationales à la recherche d’un accès aux marchés. En 2016, l’Inde comptera 53,3 millions de ménages appartenant à la classe moyenne, ce qui se traduit par 267 millions de personnes. Au même moment, le secteur des biens de consommation vaudra 33 milliards de dollars.

Tandis que de plus en plus de voitures circulent sur l’asphalte ­indien, le pays compte moins de 4 kilomètres de routes pour 1000 habitants (contre 21 kilomètres aux Etats-Unis et 15 en France). Il faudra consentir un investissement de 1,7 milliard de dollars dans les projets d’infrastructure pour répondre aux besoins de l’économie, pour laquelle les routes constituent un élément crucial.

Un projet de loi sur la sécurité alimentaire a été annoncé, stipulant que 75% de la population rurale et 50% des pauvres vivant en milieu urbain – quelque 800 millions de personnes – auront droit à 5 kilos de céréales par mois à des taux fortement subventionnés. S’il fallait une preuve que la majorité des Indiens ont faim et sont exclus des marchés, la voici.

Alors que le gouvernement reconnaît qu’il ne détient aucun chiffre fiable concernant la pauvreté, il a décrété que chaque personne ayant des dépenses de consommation de plus de 28,35 roupies (0,47 franc suisse) en milieu urbain et de plus de 22,42 roupies (0,32 franc) en milieu rural se trouvait au-dessus du seuil de pauvreté. Plus tôt ce mois, il a annoncé un programme de dépenses de 58 milliards de dollars, via un système de virement direct d’espèces sur les comptes des pauvres dans les banques et les offices postaux, y compris les vastes zones où ils n’existent pas, puis il a réduit ses ambitions.

Tandis que l’Inde politique vacille, les jeunes Indiens qui le peuvent quittent le pays. Et ceux qui ne le peuvent pas se demandent si l’Inde est une démocratie ou si elle n’en a que l’apparence, puisqu’ils n’y voient pas de véritable liberté, peu d’opportunités d’emploi et de perspectives de croissance. Les familles pauvres, qui ont vendu ce qu’elles pouvaient pour assurer la scolarité de leurs enfants, ne voient aucun signe des 13 millions d’emplois nécessaires chaque année.

Croissance ne signifie pas développement. D’ici à 2020, une seule maladie – le diabète de type 2 – affectera 100 millions d’Indiens. Les études menées au niveau national montrent que presque un bébé sur trois souffre de malnutrition. Selon l’Unicef, 50% des enfants indiens indiquent un retard de croissance. Environ 2,1 millions d’enfants meurent chaque année de causes inconnues avant d’avoir atteint l’âge de 5 ans, ce qui fait quatre décès toutes les minutes. L’Inde produit 500 000 diplômés en ingénierie par année, mais des études montrent que moins de 3% d’entre eux peuvent être engagés par le secteur de l’informatique sans formation supplémentaire car ils manquent des compétences de base (anglais, programmation, algorithmes).

Le secteur des services représente 59% du PIB et connaît une croissance rapide. L’industrie compte pour 15% de l’économie, exactement comme dans les années 1960. Entre les robustes propositions pour des changements radicaux lancées par les capitaines d’industrie et les hommes d’affaires, propositions qui pourraient se traduire par une croissance de 8 à 10% (contre 5,5% aujourd’hui), et les aspirations des Indiens, il y a l’Inde politique.

Tandis que le World Economic Forum de Davos a lieu ces jours, les gourous qui normalement atteignent des sommets d’agitation durant cette période restent silencieux. C’est compréhensible. Les experts prêchent et sont déconnectés du peuple. L’Inde de demain pose des questions et renonce au statu quo. C’est là où l’espoir surgit et d’où les solutions viendront.

Chitra Subramaniam-Duella, ancienne journaliste et consultante

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