Le Brésil au bord d’un coup d’Etat

Toute personne qui aurait quitté le Brésil en 2011 pour ne revenir que maintenant croirait s’être trompée de pays. Il n’y a plus rien de cette nation qui se voyait au milieu d’un mouvement irrésistible dans la position de cinquième économie mondiale et dont la présidente atteignait des sommets de popularité.

Un pays qui se vantait d’avoir surmonté la crise de 2008 dès 2009 et qui apparaissait comme la seule puissance émergente dotée d’une réelle démocratie. Celui qui revient aujourd’hui au Brésil trouve, au contraire, un pays au bord d’un coup d’Etat, immergé dans une crise économique sans précédent et dont la population, coupée en deux, s’affronte dans les rues.

L’héritage de Lula

Appelons un chat un chat  : même si certains n’acceptent pas cette interprétation, le Brésil vivra dans les prochains mois une situation dont le seul nom possible est « coup d’Etat ». Il ne s’agit pas d’un coup d’Etat militaire avec tanks et déploiement de soldats, comme nous en avons eu en 1937 et en 1964. Ce sera un coup d’Etat juridico-médiatique, semblable à ceux qui ont eu lieu au Honduras et au Paraguay.

Dans ce nouveau type de coup d’Etat, le Parlement pourrait profiter d’un soutien massif de la presse et du mécontentement populaire afin de voter un impeachment du président fondé sur une faute administrative du pouvoir exécutif, pour l’heure encore tolérée. Dans le cas brésilien, la présidente de la République peut être l’objet d’un impeachment motivé par des manœuvres budgétaires, alors que ses prédécesseurs n’ont subi aucune conséquence de leurs actes.

Ces manœuvres budgétaires restent l’argument officiel des contestataires, mais les raisons de la crise présidentielle sont ailleurs. Pendant des années, l’ancien président Lula a été salué dans le monde comme le symbole d’une politique fédératrice, où les programmes de lutte contre la pauvreté n’ont pas nécessité de rupture institutionnelle avec la classe dirigeante et la bourgeoisie nationale. Souvenons-nous comment, en 2015, l’héritage de Lula en tant que modèle de responsabilité et d’innovation sociale a inspiré le premier ministre grec, Alexis Tsipras, et les Grecs.

Une caste politique épargnée

Néanmoins, le prix du succès économique de cette politique de conciliation a été élevé. L’absence de rupture politique – une nécessité pour la paix institutionnelle – a poussé la gauche au pouvoir à devenir une force qui a géré un système électoral corrompu et des alliances avec des transfuges de l’ancienne dictature militaire.

Depuis quatorze ans, il n’y a pas eu la moindre tentative de réforme du système politique, fondé sur des relations incestueuses entre les politiques, la finance et le patronat. En fait, la gauche au pouvoir a profité des mêmes logiques de corruption, alors qu’elle a passé son temps à les critiquer. Cette paralysie, voire cette realpolitik, constitue le côté sombre du succès brésilien.

C’est dans ce contexte qu’a surgi en 2014 le scandale du géant pétrolier Petrobras, lequel a totalement bouleversé la politique brésilienne. La presse internationale a montré comment cette crise a frappé le cœur du gouvernement, mais aussi le poumon de toute la classe politique brésilienne. Bref, tous les grands partis ont profité du même apparat de corruption de l’Etat.

Tout changer sans rien changer

Un scandale de cette ampleur dans un moment de dépression et de démobilisation de la gauche a de quoi provoquer une explosion sociale. Pour les opposants, c’est une belle occasion de redescendre dans la rue pour exiger la destitution de la présidente.

Tous les politiciens impliqués dans ce tourbillon de la corruption ont saisi l’occasion pour sacrifier celle qui est à la tête du pays dans le but de préserver leurs intérêts. Ils ont obtenu l’aide des magistrats, prêts à satisfaire les médias très politisés au lieu de démêler le canevas du scandale.

Cette illusoire solution leur permettait en fait de tout changer sans rien changer sur le fonctionnement de la caste politique, désormais débarrassée d’un allié incommodant, le Parti des travailleurs. Un exemple de cette situation ubuesque : sur les 60 députés composant la commission chargée de la procédure d’impeachment, 31 sont dans le collimateur de la justice pour corruption dans l’affaire Petrobras – soit la majorité –, dont le président de la commission, qui n’est autre que le président de la Chambre des députés, accusé d’avoir personnellement reçu des milliers de dollars.

Ce délabrement de la vie politique risque d’aggraver la division du pays, où la moitié de la population a le sentiment de vivre dans un Etat oligarchique de droit. Il serait vain de penser que l’histoire finira dans cet intermezzo.

Vladimir Pinheiro Safatle est professeur de philosophie à l’université de Sao Paulo et éditorialiste à Folha de S. Paulo.

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