Le Brésil n'est pas souverainiste !

Après la prise de position des pays émergents - Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud (BRICS) - sur les crises libyenne et syrienne au Conseil de sécurité des Nations Unies, on a vu émergé un consensus pour qualifier ces diplomaties de "souverainistes". Derrière ce terme : le refus d'utiliser l'intervention militaire pour régler des conflits internationaux, au nom de la protection de la souveraineté de l'État. Cette position se renforce lorsqu'il s'agit de problèmes internes. La Charte de l'ONU ne prévoit en effet qu'un règlement des tensions interétatiques, incluant la possibilité d'un recours à la force sous des conditions bien précises (chapitre VII). Avec l'implication grandissante d'acteurs non-gouvernementaux et un déroulement souvent infra-étatique, se pose la question de la manière de solutionner ces contextes, certes "hors-Charte", mais qui constituent une menace pour la paix mondiale. La "responsabilité de protéger" symbolise une des tentatives d'évolution du cadre opérationnel onusien.

La résolution 1973 de mars 2011 y fait ainsi référence, concernant la Libye. Le texte autorise la mise en place d'une zone d'exclusion aérienne, sans en préciser le mode de réalisation, mais tout en écartant la possibilité d'un déploiement de forces terrestres étrangères. Le caractère flou des contours de la résolution a entraîné l'abstention des pays émergents - sauf l'Afrique du Sud, alignée sur la position de l'Union africaine. Ce vote, suivi des fortes critiques émises à l'encontre de l'opération responsable de la chute du régime de Kadhafi, et du refus d'envisager des mesures similaires à l'égard de la Syrie - la Chine et la Russie menaçant d'user de leur droit de veto - ont contribué à l'essor de l'interprétation souverainiste.

Dans cette vision dominante sommeille un priori englobant. Une des limites de l'analyse des BRICS est le syndrome du "un pour tous, tous pour un", chacun tend à expliquer les positions du groupe en fonction de celles du pays qu'il connaît le mieux. C'est ainsi que l'on a pu lire qu'une telle posture abstentionniste renvoyait au désir des émergents de protéger la gestion de leurs propres affaires internes, ce qui correspond plus aux préoccupations d'un régime chinois, aux prises avec des ONG internationales sur la question des droits de l'homme, qu'à celles d'un Brésil, somme doute, plus démocratique. Dès lors, il faut remettre en cause cet écueil, qui revient à expliquer les positions communes des BRICS par des motivations et des objectifs similaires. Penchons-nous sur le cas brésilien.

LE CAS DU BRÉSIL

Les gouvernements brésiliens de Luiz Inácio Lula da Silva puis de Dilma Rousseff affichent, sans aucun doute, une franche hostilité quant à l'utilisation de la force pour résoudre les conflits. Lors de la justification de l'abstention de son pays au sujet de la résolution 1973, la représentante permanente Maria Luiza Ribeiro Viotti a ainsi déclaré : "Nous ne sommes pas convaincus que l'utilisation de la force [...] permettra d'atteindre l'objectif commun qui est de mettre un terme à la violence et de protéger les civils". À propos de l'intervention française au Mali, Dilma Rousseff n'a pas non plus caché son scepticisme, fin janvier, durant une conférence de presse conjointe avec des représentants européens : "La lutte contre le terrorisme ne peut elle-même violer les droits de l'homme ou raviver des tentations, y compris les vieilles tentations coloniales".

Cependant, dans le cas brésilien, cette hostilité ne renvoie pas forcément à une posture souverainiste. Toujours concernant le Mali, la présidente ne rejette pas catégoriquement le choix de l'intervention, mais la conditionne à une autorisation préalable du Conseil de sécurité. De plus, le Brésil participe activement à plusieurs opérations de maintien de la paix de l'ONU. Il a pris le commandement de la Mission des Nations Unies de stabilisation en Haïti (MINUSTAH) en 2004, puis celui des opérations marines de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) en 2011. D'autres diplomaties considèrent que ces opérations représentent déjà une forme d'intervention militaire. Le Venezuela d'Hugo Chávez, par exemple, refuse ainsi d'y participer.

"AU BÂTON, ELLES PRÉFÈRENT LA CAROTTE"

De fait, dans leur discours, les autorités brésiliennes ne mettent pas en avant le principe de non-ingérence pour expliquer leur réticence à recourir à la force. Elles insistent plutôt sur le caractère contre-productif de la coercition : au bâton, elles préfèrent la carotte. Aux yeux des dirigeants actuels du Brésil, l'imposition exclut et renforce les prises de position plus radicales, alors que la séduction favorise le dialogue et une intégration progressive des parties prenantes du conflit autour de la table des négociations. Le recours à la force devient alors plus un obstacle qu'une solution pour résoudre les tensions.

Cette posture n'est bien sûr pas complétement anodine. En prônant l'élargissement du nombre d'interlocuteurs, les représentants brésiliens justifient parallèlement leur inclusion et une meilleure participation de leur pays aux affaires mondiales. Et ils profitent d'une situation internationale rare pour y parvenir. En effet, la diplomatie brésilienne ne souffre d'aucune crise politique majeure avec ses partenaires. À titre d'illustration, en novembre 2009 se sont successivement rendus à Brasilia les présidents d'Israël, de l'Autorité palestinienne et d'Iran.

Depuis l'accession au pouvoir de Dilma Rousseff, les représentants brésiliens communiquent moins sur leur politique étrangère qu'à l'époque de Lula. Ceci nuit certainement à une meilleure compréhension de leurs positions par rapport à celles de leurs partenaires émergents. Par exemple, le ministère des relations extérieures n'a, à ce jour (début février), rien publié sur l'intervention au Mali. Néanmoins, il serait peut-être bénéfique d'arrêter de pointer d'un doigt simplificateur les positions des émergents sur l'intervention militaire, au nom de la défense de nos postures et intérêts. Au contraire, afin de mieux les promouvoir, il faudrait davantage tenir compte des nuances au sein des BRICS pour trouver des dénominateurs communs avec certains d'entre eux et, de la sorte, montrer plus d'égard envers la résolution de conflits qui se perpétuent sur le terrain.

Elodie Brun, docteur en science politique à l'IEP

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *