Le Brexit pourrait relancer la guerre budgétaire dans l’Union européenne

Dans son document de sortie de l’Union, le Royaume-Uni a indiqué qu’il accepterait « une contribution appropriée » au budget européen. Une contribution qui sera évidemment moindre que l’actuelle, qui justifiait le fameux rabais britannique. Dans les années qui avaient suivi son adhésion à la Communauté européenne, le Royaume-Uni avait en effet constaté que le solde entre les retours (les dépenses du ­budget communautaire dans le pays) et la contribution britannique au dit budget faisait apparaître un déséquilibre important.

Cinq ans après que Mme Thatcher a lancé sa formule légendaire « I want my money back » [« Je veux qu’on me rende mon argent »], le Conseil européen de Fontainebleau adoptait, en 1984, un dispositif de correction : « Il a été décidé que tout Etat membre supportant une charge budgétaire excessive au regard de sa prospérité relative est susceptible de bénéficier, le moment venu, d’une correction. »

Le Brexit marque la sortie du trublion de l’Union et la fin du chèque britannique, dénoncé comme une singularité et un manque de solidarité. Ouf, enfin ! L’Union, libérée, devrait pouvoir fonctionner sans contorsions ni passe-droits, et appliquer enfin une règle simple : chaque Etat membre contribue au budget en proportion de son poids dans le revenu national brut (RNB) européen. Cela signifiera-t-il la fin des rabais budgétaires ? Rien n’est moins sûr…

Tartufferie

Le sujet reste tabou, de peur d’alimenter l’euroscepticisme chez les contributeurs nets (ceux dont la contribution au budget européen excède les retours qu’ils en retirent). Cette comptabilité de boutiquier paraît dérisoire, et même indécente, face aux apports et à l’ambition historique de la construction européenne. Nombreux sont d’ailleurs ceux qui dénoncent régulièrement ce « poison » qui mine la solidarité européenne.

Et si l’on parlait franchement ? Le calcul des soldes nets est une tartufferie. N’en parlez jamais, mais pensez-y toujours. Car il faut admettre que tous les pays font ce calcul. Notamment à l’occasion de la négociation du cadre financier pluriannuel (CFP), qui façonne la vie budgétaire de l’Union pendant sept ans. Les ­contributeurs nets, alliés pour l’occasion, prennent position au début de la procédure pour limiter le budget européen.

Le seuil actuel du budget à 1 % du revenu national brut de l’Union a été imposé par l’Allemagne et le Royaume-Uni, les deux premiers contributeurs nets. A la satisfaction des autres, y compris de la France, qui dénonçait mollement « le camp des radins », comme on les appelait à l’époque, mais qui était tout de même bien soulagée que la ligne restrictive s’impose. D’ailleurs, si le Royaume-Uni est le mouton noir budgétaire le plus visible, d’autres Etats bénéficient aujourd’hui de dispositifs comparables, inspirés de l’accord de 1984.

Des déséquilibres limités

Une hypocrisie d’autant plus incompréhensible que les soldes nets révèlent une vraie solidarité entre pays. Les transferts au sein de l’Union sont massifs. Quelque 35 milliards d’euros par an, soit le quart du budget, passent des pays dits riches (les contri­buteurs nets) aux pays pauvres (les bénéficiaires nets). Les deux tiers de la redistribution sont assurés – assumés – par trois pays.

En valeur absolue, l’Allemagne a un solde net moyen annuel de 12,9 milliards d’euros, suivie du Royaume-Uni et de la France, autour de 7,1 milliards d’euros. En proportion du RNB national, les premiers sont les Pays-Bas et le Danemark, avec des contributions nettes qui peuvent dépasser 0,7 % de leur RNB. Les premiers bénéficiaires sont la Pologne (avec une moyenne de 11,7 milliards de transferts nets annuels), la Grèce (4,9 milliards) et un groupe de cinq pays (Roumanie, Hongrie, République tchèque, Espagne, Portugal, autour de 3 milliards de transferts nets annuels).

Le Royaume-Uni, malgré son rabais, est resté un contributeur net important (7,6 milliards en moyenne, mais certaines années, comme en 2015, le solde peut dépasser 11 milliards). Car l’accord de Fontainebleau n’est pas un moyen d’égaliser contributions et retours mais de limiter les déséquilibres. Ce n’est pas la même chose. Une fois Londres parti, les sommes versées par les Britanniques vont manquer. Que va-t-il se passer ? Soit, par cohérence avec les indignations antérieures, on refuse cette logique comptable et on laisse filer les soldes nets des pays déjà contributeurs. Soit on admet que les soldes nets doivent être contenus dans une limite raisonnable à déterminer.

Mauvaise affaire budgétaire

Plusieurs voies sont possibles : rogner les transferts vers les bénéficiaires nets (à commencer par la ­Pologne), fixer une limite chiffrée aux contributions nettes (0,5 % du RNB, par exemple), modifier les dépenses pour mieux équilibrer les retours vers les pays dits riches. Autant de débats et de déchirements en perspective.

Il faudra pourtant surmonter les réticences à aborder ce sujet qui dérange. La contribution britannique a fait partie des arguments des partisans du Brexit. L’Allemagne va voir sa contribution augmenter, au risque de raviver l’idée que le pays est « la vache à lait de l’Europe » (100 milliards d’euros en dix ans), comme le titrait Der Spiegel en 2005. En 1998, la Bundesbank avait tiré la sonnette d’alarme : l’Allemagne s’irritait d’être devenue « le banquier de l’Europe ». La défection britannique est une très mauvaise affaire budgétaire pour l’Allemagne, et il ne fait aucun doute que le pays prendra des initiatives pour stabiliser sa contribution.

En France, le sujet n’est pas encore polémique, même si le Front national évoque parfois ce déséquilibre avec le budget de l’Union ; mais il pourrait le devenir. Comme au Danemark et aux Pays-Bas, qui, dans un contexte de contestation européenne croissante, pourraient considérer que leur charge budgétaire est excessive et être les « exités » de demain. Pour reprendre l’expression de Fontainebleau, « le moment est venu » de traiter la question.

Nicolas-Jean Brehon, enseignant en finances publiques à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne.

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