Le Brexit sera “hard” pour les entreprises européennes implantées outre-Manche

Quelle que soit l’issue des négociations entre Londres et Bruxelles et celle des votes du Parlement britannique, le Brexit sera sans nul doute « hard » pour les entreprises européennes implantées outre-Manche. C’est ce que vient d’apprendre, à ses dépens, l’Agence européenne du médicament (AEM).

Fondée en 1995 à l’initiative du Parlement européen, l’AEM est chargée de l’évaluation scientifique, du contrôle et du suivi de la sécurité des médicaments dans l’Union européenne (UE). Elle fait partie des deux agences de l’Union qui ont leur siège à Londres, la seconde étant l’Autorité bancaire européenne (ABE), qui assure la réglementation et la surveillance prudentielle du secteur bancaire européen. Après l’annonce du Brexit, les ministres de l’UE à 27 ont voté le transfert de l’AEM à Amsterdam et de l’ABE à Paris.

L’AEM a donc loué pour ses 900 collaborateurs de nouveaux locaux à Amsterdam (pour un loyer annuel d’environ 13,5 millions d’euros) et a commencé à déménager, en informant son bailleur anglais de son intention de mettre un terme anticipé à son bail. Le bail londonien (avec un loyer annuel de 13 millions de livres sterling) avait été conclu en 2011 pour une période allant de 2014 à 2039.

Pas de « cas de force majeure »

Devant le refus du bailleur anglais, l’affaire a été portée devant la Haute Cour de justice britannique, qui a envoyé un message fort aux Européens implantés au Royaume Uni : vous ne nous quitterez pas comme cela, car le Brexit n’est pas un motif pour remettre en cause les engagements juridiques que vous avez souscrits.

L’AEM prétendait, en effet, que le Brexit constituait une « frustration », qui est le terme juridique anglais assimilable à ce que nous appelons « cas de force majeure ». Un événement « frustrant » peut justifier la résiliation d’une obligation sans indemnité s’il présente plusieurs caractéristiques : il doit intervenir postérieurement à la conclusion du contrat, affecter fondamentalement les causes du contrat, être imprévisible et extérieur aux parties ; enfin, il doit rendre l’exécution du contrat impossible.

Dans sa décision de 95 pages, le juge anglais a considéré que le Brexit ne constituait une « frustration » car ce n’est pas un événement inattendu de nature à modifier fondamentalement les conditions d’exécution du contrat. L’AEM reste obligée d’honorer ses engagements prévus par le bail, et donc de payer les 575 millions d’euros de loyer courant jusqu’en 2039.

Aucune indulgence

Le juge a notamment considéré que l’UE avait la capacité de maintenir le siège de ses agences dans un pays tiers, même si l’Union avait de nombreuses et bonnes raisons de ne pas le faire. De plus, il a jugé que le bail de l’AEM ne contenait pas de clause de résiliation anticipée et qu’il y existait une clause de cession ou de sous-location. L’AEM était donc à même de trouver des solutions sans laisser le bailleur anglais démuni.

Ce jugement laisse tout de même ouverte la possibilité d’alléguer une « frustration », mais seulement si le Brexit prive le cocontractant de tout ou de la quasi-totalité des avantages de son contrat. Tel n’est donc pas le cas lorsque l’exécution d’un contrat est simplement rendue plus onéreuse ou plus compliquée.

Les leçons que l’on peut en tirer sont les suivantes : pour les conséquences du Brexit jugées au Royaume-Uni, aucune indulgence n’est à attendre de la loi anglaise ; lorsque l’on contracte avec une entité située dans un autre pays membre, on doit conserver à l’esprit que ledit pays peut quitter un jour l’UE ; quand on s’engage contractuellement, on doit toujours prévoir les possibilités d’un désengagement. Comme le disait La Fontaine, cette leçon vaut bien un fromage… à 575 millions d’euros.

Fabrice Lorvo est associé au cabinet d’avocats FTPA.

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