Le Brexit, une chance pour construire un droit des affaires européen

Le Brexit a relancé une guerre économique des juridictions en matière financière, qui semblait avoir été définitivement gagnée par la common law britannique. L’hégémonie de la City de Londres ne s’est pas construite sur la seule puissance de l’industrie de la finance. Elle a également été portée par le dynamisme de l’industrie juridique britannique, avec ses grands cabinets d’avocats installés dans des tours voisines des banques à Canary Wharf, dans l’Est londonien.

Ces cabinets ont imposé à l’Europe un droit modelé par des juristes anglais, lorsqu’il s’agit de finance. La suprématie de Londres en matière financière s’est donc construite sur une alliance entre banquiers et avocats qui ont œuvré quotidiennement dans les négociations du business, mais aussi par un lobbying redoutable dans les instances européennes pour imposer leur juridiction. Avec le droit anglais, les banques anglo-saxonnes ont trouvé leur avantage concurrentiel, et, avec les banques, les juristes anglo-saxons ont trouvé le gisement fructueux de leur prospérité.

Nouvelle donne

Il est clair que le Brexit vient modifier la donne, car si l’allié bancaire des juristes anglais quitte le berceau du droit britannique pour venir s’installer en Europe continentale, la formidable coopération entre la finance et l’industrie du droit britannique deviendra plus complexe.

Le Brexit va-t-il se prolonger par un « Brexlaw », c’est-à-dire un recul de l’emprise du droit britannique sur les opérations financières en Europe et dans le monde ? Les juristes français en rêvent. Prendre une revanche sur les Anglais est toujours source de jubilation… Mais attention aux attitudes nationalistes qui ne sont peut-être pas à la hauteur de l’enjeu.

Le Brexit est vu comme une chance pour la France. Première victoire, elle va accueillir l’Autorité bancaire européenne, obligée de quitter Londres, et l’on se met à rêver que les tribunaux parisiens puissent, en plus d’appliquer le droit français, appliquer la common law, se substituant ainsi aux juges britanniques dont les décisions ne bénéficieront plus de la sécurité juridique et de la garantie d’exécution des jugements rendus dans l’Union européenne, qui bénéficient d’un régime de reconnaissance mutuelle.

On vante désormais de manière officielle, sous l’égide d’un Haut Comité juridique de la place financière de Paris, présidé par un de nos plus éminents hauts magistrats, la qualité de nos procédures judiciaires pour attirer les contrats financiers dans le « for » français.

Les tribunaux français ont l’ambition de s’ouvrir au contentieux du droit international des affaires. Une Chambre internationale de commerce composée de juges anglophones a été installée, en février, à la cour d’appel de Paris, exception à plusieurs siècles de résistance depuis l’édit de Villers-Cotterêts de 1539 par lequel François 1er imposa la langue française dans les procédures judiciaires.

Le droit français se revendique désormais « business oriented », comme disent… les Anglais. La réforme du droit des obligations entrée en vigueur en novembre 2016 a conduit à un dépoussiérage historique du code civil pour que le monde des affaires puisse choisir, sans le moindre état d’âme, le droit français des contrats.

Volonté des juristes français

Il faut, bien entendu, soutenir cette volonté des juristes français qui entendent faire de leur droit une arme économique. Mais ne soyons pas non plus trop naïfs !

Tout d’abord, il faut se souvenir que le budget de la justice en France n’est pas à la hauteur de celui d’un pays qui voudrait faire de son droit un avantage concurrentiel. Le droit s’impose aussi par les moyens de sa juridiction, et la justice française est exsangue.

De surcroît, dans un contexte de mondialisation des règles et des normes en matière financière, comme dans beaucoup d’autres domaines économiques ou techniques, l’hégémonie d’un seul pays isolé peine à s’imposer. Pour que le droit français puisse retrouver des couleurs, il est indispensable qu’il puisse être soutenu par un droit européen, qui lui permette de s’extraterritorialiser. L’enjeu du « Brexlaw » se situe donc au niveau européen, et ce n’est qu’au travers du droit européen que le droit français pourra s’affirmer pour que la common law recule, et que nos règles nationales pourront gagner du terrain et du crédit dans la concurrence des systèmes juridiques des affaires.

Capacité à l’extraterritorialité

La puissance d’un droit ne se mesure pas à sa qualité intrinsèque, qui donne d’ailleurs lieu à d’interminables débats de spécialistes qui n’intéressent qu’eux. Il repose plutôt sur la puissance de la juridiction qui l’applique, laquelle est fondée sur sa capacité à le faire appliquer au-delà de ses frontières géographiques.

Le droit américain trouve sa puissance dans sa capacité à l’extraterritorialité. Pour concurrencer la common law, il faut donc que le droit français étende son influence grâce au formidable amplificateur que peut devenir un droit européen débarrassé de l’influence britannique après le Brexit.

Il est donc indispensable que les juristes français prennent la place vacante laissée par les juristes anglais dans les instances européennes où se forgent les règles qui régissent la finance. Dépassons donc notre réflexe franchouillard, si nous voulons notre revanche avec la common law. C’est au niveau européen que se jouera la compétition. C’est ensuite par « ruissellement » du droit européen, auquel la France doit activement contribuer, que le droit français pourra imposer sa juridiction fondée sur la reconnaissance de l’Europe comme modèle de droit.

Frédéric Peltier est l’auteur de l’essai « Le Procès de l’argent. Loi de la République contre loi du marché » (Albin Michel, 2017).

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