Le brouillage de la question migratoire est une opération politique

La politique migratoire menée par Emmanuel Macron paraît incohérente. Les mesures en faveur des migrants s’ajoutent à des mesures dissuasives. Il en résulte une suite erratique de décisions, analogue à une séquence aléatoire de pile ou face.

Du côté face, hostile à la migration, on peut citer les éléments suivants : environ 50 000 réfugiés ont été refoulés à la frontière avec l’Italie depuis le début de l’année. Parmi eux se trouvent de nombreux demandeurs d’asile dont la France est tenue d’accepter l’entrée et le dépôt de la demande.

Ceux qui cherchent à gagner l’Angleterre, notamment à partir de Calais (Pas-de-Calais), en sont empêchés manu militari, ou plutôt polici, à la suite des accords du Touquet, selon lesquels le Royaume-Uni paye le gouvernement français pour que ce dernier bloque la traversée de la Manche. Ceci est contraire à l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui stipule que toute personne a le droit de quitter le pays où elle se trouve (mais non d’entrer dans n’importe quel autre pays).

Violation du droit

Des accords de voisinage sont conclus avec des pays étrangers, qui s’engagent à empêcher que les migrants gagnent l’Europe. En échange, une aide au développement ou à l’aménagement de camps est versée par l’Union européenne (UE). C’est le cas avec la Turquie et pour plusieurs accords bilatéraux, notamment entre l’Espagne ou la France et des pays d’Afrique de l’Ouest. Ces accords constituent eux aussi une violation de l’article 13.

A Mayotte et en Guyane, les riverains (Comoriens, habitants du Suriname, Brésiliens) qui tentent de s’infiltrer sont rapatriés sans autre forme de procès, ici encore en violation du droit. La justice poursuit ceux qui viennent en aide aux migrants irréguliers. La France n’a pas accueilli l’Aquarius, alors qu’après le refus de l’Italie et de Malte ses ports étaient les plus proches du bateau de l’ONG SOS Méditerranée, notamment ceux de Corse – région qui avait offert son accueil –, mais Paris a fait la sourde oreille.

Côté pile, ces mesures répressives sont en partie contrebalancées par des mesures et des signaux favorables donnés aux migrants. Ainsi le gouvernement a-t-il défendu une répartition des réfugiés entre les Etats de l’UE par quotas et a accepté, sans rechigner, l’un des plus élevés (30 000 personnes), alors que des pays comme la Pologne ont refusé celui de 500 personnes qui leur avait été attribué. Malgré l’augmentation proposée de la durée maximale de séjour en camps de rétention à 90 jours, la durée moyenne de l’internement tourne autour de onze jours.

Glissements sémantiques

L’intervention de la justice administrative et de la justice civile pour décider de la rétention et de la libération des internés est conservée, malgré le désir que le président Sarkozy avait eu de créer une juridiction spéciale. Le démantèlement des camps est largement suivi de relogement dans des centres d’accueil.

Last but not least, le président et le gouvernement se répandent en postures moralisatrices, vantant le comportement humanitaire de la France et stigmatisant les pays qui agissent plus brutalement, comme l’Italie ou les quatre pays d’Europe centrale du groupe de Visegrad.

Pour compliquer la situation, les mesures pro et contra s’embobinent les unes dans les autres. Ainsi, moins de 8 000 personnes ont été acceptées au titre du quota de 30 000 réfugiés, ou bien ceux qui procurent une assistance aux migrants à la frontière italienne, tel Cedric Herrou, sont alternativement arrêtés et relâchés. Autre cas, carrément vicieux : celui de l’Aquarius, que la France n’a pas demandé à recevoir dans l’un de ses ports, mais dont elle dit qu’elle acceptera comme réfugiés ceux qui en feront la demande (il semble qu’ils constituent la majorité des rescapés).

Pour couronner le tout, les glissements sémantiques sont systématiques. Ainsi, les termes de « migrant », « réfugié », « demandeur d’asile », « bénéficiaire du droit d’asile » sont employés sans distinction, alors qu’ils présentent de grandes différences.

Les migrants sont en effet constitués par la migration régulière largement majoritaire (260 000 premières cartes de séjour accordées en 2017 en France) et par les réfugiés (99 000 en 2017). Parmi ces réfugiés, une majorité déposera une demande d’asile et une minorité l’obtiendra (32 000 en 2017). Ce seront les bénéficiaires.

Macron, Trump, même constat

Mélanger ces catégories les aligne, de fait, sur la plus défavorisée d’entre elles, qui n’est pas la plus nombreuse, ni la plus durable : celle des « réfugiés ». Alors que la migration régulière compte 85 000 étudiants, 50 000 parents étrangers de Français, 25 000 emplois économiques spécialisés, 30 000 régularisations et les 32 000 bénéficiaires du droit d’asile, tous ces statuts sont amalgamés à ceux de naufragés en haillons, affamés, hébétés, dont les médias répandent à foison l’image.

On pourrait penser que le traitement chaotique et la représentation misérabiliste de la migration accroîtraient son rejet par les Français. Les enquêtes de l’IFOP ne montrent rien de tel. Entre 2012 et 2017 – donc entre le début et le tassement de la vague migratoire –, les opinions au sujet du devoir d’hospitalité, du danger de « submersion », pour parler comme le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, ou du rôle économique des migrants n’ont pas varié.

On peut alors supposer que le brouillage de la question migratoire est une opération politique. En jouant tantôt sur la touche pro, tantôt sur la touche contra, le gouvernement donne alternativement satisfaction et insatisfaction aux uns et aux autres, ce qui les renforce dans leurs convictions : le refus de la migration pour l’extrême et l’ultra droite, le devoir moral d’une large hospitalité pour la gauche.

En confortant les penchants idéologiques respectifs des deux extrêmes, le centre macronien rend leur alliance difficile ou impossible. Une association comme celle des populistes en Italie entre le Mouvement 5 Etoiles (M5S) et la Ligue devient ainsi improbable, ce qui favorise le maintien de La République en marche aux affaires. Le système électoral français, avec son scrutin majoritaire à deux tours, donne en effet une prime au parti qui se situe au centre tant que les extrêmes ne s’allient pas.

De même que la plupart des mesures de politique extérieure de Donald Trump sont prises en fonction de la politique intérieure des Etats Unis, la politique migratoire de la France est donc, elle aussi, essentiellement tournée vers les problèmes de politique intérieure, pour ne pas dire politicienne et non vers les migrants qu’ils soient réguliers ou réfugiés.

Par Hervé Le Bras, démographe. Il est notamment l’auteur de L’âge des migrations (Autrement, 2017).

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