Le candidat Trump a réactivé la xénophobie des années 1900-1920

On peut trouver paradoxal qu’un roi de l’immobilier, enrichi par la construction de gratte-ciel et de casinos et des ­activités annexes comme le textile (les chemises et les cravates Trump), ou les produits de bouche (les steaks et les vins Trump), recueille majoritairement les votes d’ouvriers blancs, peu éduqués, du Sud et surtout de la « Rust Belt » (« ceinture de la rouille »), et de toutes les victimes de la mondialisation et du déclin des vieilles industries manufacturières.

Trump a su admirablement canaliser leur colère, leurs angoisses et leurs peurs en leur promettant d’édifier une Amérique forteresse, fondée sur la renégociation de tous les grands accords de libre-échange signés par les Etats-Unis, à commencer par l’Alena [Accord de libre-échange nord-américain]

Peu importe si les cravates et les chemises Trump sont toujours produites au Mexique ou en Chine, le leader républicain n’en est pas à une contradiction près. L’important est de protéger les « petits Blancs » contre les hordes d’étrangers qui menaceraient l’Amérique et abuseraient des bienfaits d’un Etat-providence trop généreux à leur égard.

Le ressentiment de la Rust Belt et de la Sun Belt

Le sociologue allemand Werner Sombart (1863-1941) publiait en 1906 un ouvrage au titre décapant : Pourquoi le socialisme n’existe-t-il pas aux Etats-Unis ? Son analyse reste aujourd’hui encore d’une actualité brûlante : l’auteur constatait que les conflits de classe opposant les ouvriers aux possédants étaient moins nombreux et moins visibles aux Etats-Unis qu’en Europe. Et il formulait une hypothèse : les ouvriers américains n’ont pas de conscience de classe parce que les rapports entre le capital et le travail ont été ethnicisés.

Il était plus facile pour les capitalistes de blâmer les immigrés récents – les Polonais, les juifs, les Italiens – pour les déboires ou les injustices subis par la « vieille » classe ouvrière, déjà installée aux Etats-Unis et composée d’immigrés plus anciens : des Anglais, des Allemands, des Irlandais… D’où l’immense succès des « nativistes », de la Ligue contre l’immigration et d’autres groupes qui firent pression sur le Congrès pour qu’il adopte les grandes lois restrictionnistes (lois sur les quotas) des années 1920.

Aujourd’hui, en dénonçant sans relâche les immigrés latinos, inassimilables parce que hispanophones, criminels ou violeurs en puissance, les immigrés musulmans, jugés comme des terroristes potentiels, en annonçant la construction d’un mur infranchissable entre les Etats-Unis et le Mexique, en menaçant d’expulser manu militari 11 millions de sans-papiers, Trump remettait au goût du jour la vieille xénophobie des années 1900-1920.

Comme tout bon démagogue, il canalisait admirablement les peurs, les ressentiments et les angoisses de ses supporteurs de la Rust Belt et des « petits Blancs » de la Sun Belt (« ceinture du soleil ») rurale. En s’opposant aux combines de la classe politique traditionnelle (républicains compris), en dénonçant les mensonges, l’hypocrisie et la corruption de ses adversaires, il comblait les attentes des dominés en leur proposant une revanche et les innombrables bienfaits d’une politique étrangère musclée et protectionniste.

Relents d’antisémitisme

Ses attaques, en particulier le dernier spot publicitaire du Parti républicain, avaient d’évidents relents d’antisémitisme. Dans ce spot, Trump lui-même s’en prenait au « pouvoir globalisé », qui, disait-il, « dépossédait notre classe ouvrière » de sa richesse pour la déposer « dans les poches d’une poignée de grandes entreprises et de leurs entités politiques ». Et le spot montrait les visages inquiétants de trois grandes figures de la finance : le financier George Soros, le patron de Goldman Sachs, Lloyd Blankfein, et la présidente de la Réserve fédérale, Janet ­Yellen.

Mais le succès électoral de Trump n’est pas seulement lié à cette violence symbolique. Il tient aussi à la faible mobilisation du « géant endormi », les 4 à 5 millions de nouveaux électeurs hispaniques, qui n’ont pas voté en masse dans les Etats pivots, comme l’avaient anticipé les dirigeants démocrates. A ceci s’ajoutent les taux de participation décevants des Afro-Américains. Hillary Clinton n’a pas réussi à faire le plein de voix auprès des minorités, de la « génération Y » et des membres les plus éduqués des classes moyennes.

Le mépris affiché par Trump pour les mécanismes les plus élémentaires de la démocratie américaine – l’annonce, par exemple, que Hillary Clinton méritait la prison – les insultes prodiguées aux faibles, aux femmes, aux Latinos, aux musulmans, aux handicapés, signalaient une étonnante et déplorable brutalisation de la vie politique états-unienne. Les politiques de la haine et du soupçon de corruption prenaient le pas sur la civilité, la tolérance, le respect du droit et de la dignité des personnes nécessaires au vrai débat démocratique.

On peut espérer, sans en avoir la certitude, qu’une fois installé au pouvoir et soumis aux contraintes d’un vieux système politique de poids et de contrepoids, le président Trump abandonnera ses plus mauvais instincts pour mieux asseoir son autorité et éviter le chaos et les violences que ne manqueraient pas de susciter les écarts verbaux d’un nouveau condottiere.

Denis Lacorne, Directeur de recherche au CERI-Sciences Po. Il est, entre autres, l’auteur de « La Crise de l’identité américaine » (Fayard, 1997). Il vient de publier « Les Frontières de la tolérance » (Gallimard, 252 pages, 20 euros).

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