Le chavisme et le péronisme peuvent survivre à leurs leaders

La victoire de Nicolas Maduro aux élections présidentielles du Venezuela, le 14 avril, n’a surpris personne. Son adoubement par Hugo Chavez en tant que successeur putatif en décembre 2012, l’émotion liée à la mort de Chavez et le soutien de la machinerie étatique ont favorisé la victoire de Maduro sur le candidat de l’opposition, Henrique Capriles. Ces six prochaines années, Maduro, «fils» autoproclamé de Chavez, semble condamné à soutenir le chavisme, mélange complexe de populisme, de développement dirigé par l’Etat, de répression et de «diabolisation» du capitalisme, de la globalisation et des Etats-Unis.

Ce qui a surpris, c’est plutôt la faible marge obtenue par Maduro à l’occasion de sa victoire. En octobre 2012, Chavez avait vaincu le même Capriles de quelque 11 points auprès d’un électorat composé de 18,9 millions de votants. Immédiatement après la mort de Chavez, le 5 mars 2013, les sondages prévoyaient une victoire de Maduro avec un écart à deux chiffres sur Capriles. En réalité, il a gagné avec moins de 2% d’avance. Maduro a sans doute été «sauvé par le gong», en ce sens que, si l’élection n’avait pas eu lieu si près de la mort de Chavez, le résultat aurait été bien différent.

Maduro hérite d’une économie en difficulté avec une inflation galopante (qui devrait avoisiner les 30% vers la fin de 2013), un vaste déficit public (environ 10% du PIB en 2012), une violence endémique (56 meurtriers pour 100 000 habitants en 2012, l’un des taux les plus élevés au monde) et une productivité lamentable. Son seul salut est qu’aussi longtemps que les prix du pétrole demeureront hauts, l’Etat continuera à bénéficier des profits excédentaires associés à l’exploitation du pétrole, le principal pilier de l’économie vénézuélienne. L’ironie étant que le pétrole tout comme la recherche du profit ont facilité l’accession de Chavez au pouvoir durant les années 1990, en raison de la cupidité des élites.

Le Venezuela est un pays à revenus moyens supérieurs, avec un revenu moyen par habitant se situant à 11 920 dollars (2011). De plus, le pays est assis sur la plus importante réserve de pétrole au monde (estimée en 2011 à 297,6 milliards de barils). Il est souvent cité comme l’incarnation même de l’hypothèse de la malédiction des ressources, qui veut que les pays disposant de ressources non renouvelables importantes, comme le pétrole, tendent à démontrer une performance économique moindre que celle des pays avec peu de ressources naturelles.

Cette hypothèse s’explique par une mauvaise allocation des ressources, la volatilité du prix des matières premières, les incitations à une mauvaise gestion, et le cercle vicieux que ceci peut générer en ce qui concerne le développement institutionnel, la cupidité et la corruption.

En réalité, ces dix dernières années, la croissance du Venezuela a été très volatile. Certes, le pays a connu une croissance positive durant l’ère Chavez. Toutefois, cette période a également été marquée par deux profondes récessions (la première liée à une grève du pétrole associée à des incertitudes politiques en 2002-2003 et l’autre en 2009-2010 due à l’impact de la récession mondiale sur les prix du pétrole et à une politique fiscale pro-cyclique).

Mais si l’on tient compte de la montée en flèche des prix du pétrole (90% des exportations), alors les résultats sont moins probants. Après tout, le pays a bénéficié d’un choc très positif sur les termes de l’échange lorsque les prix de l’énergie ont bondi cinq fois entre le milieu des années 1990 et 2011.

La gestion du filon du pétrole a été désastreuse. La production pétrolière a chuté de presque 20% sous l’ère Chavez, conséquence du vieillissement des champs de pétrole, des faibles niveaux d’investissement, de la nationalisation de la prospection pétrolière, de l’exode du personnel qualifié et de la mauvaise gestion de Petróleos de Venezuela SA (PDVSA), le groupe pétrolier en mains de l’Etat qui s’est mué en vache à lait universelle pour le financement de la révolution bolivarienne. Par ailleurs, avec un quart des exportations pétrolières vénézuéliennes filant sous la forme d’énergie subventionnée vers des «petro amigos» à l’instar de Cuba, la médiocre rentabilité de PDVSA et sa faible capacité d’investissement ne sont guère surprenantes.

La période à venir est remplie de défis. Premièrement, Maduro devra mettre un frein au déséquilibre macroéconomique aigu de l’économie vénézuélienne. Une consolidation fiscale est indispensable, et ce, bien que l’accroissement dramatique des dépenses publiques en 2012 signifie que, même si des mesures fiscales draconiennes sont adoptées, le déficit public restera élevé ces prochaines années. Le déséquilibre fiscal et l’impact de la dévaluation de 32% de la devise en février 2013 risquent de produire en 2013 un mélange toxique de faible croissance et d’inflation élevée.

Deuxièmement, pour revitaliser l’économie à moyen terme, le gouvernement devrait adopter des mesures pour relancer la productivité de l’économie. Ceci exige non seulement l’adoption d’une approche plus ouverte aux investissements étrangers, mais également un remaniement majeur du climat d’affaires et des régimes réglementaires au Venezuela. Nul n’est besoin de préciser que ce sont des mesures improbables de la part d’une administration engagée dans la construction du «socialisme du XXIe siècle».

«Veillez sur cet homme pour moi, car sans cet homme, la révolution sera immédiatement terminée», a dit un jour Fidel Castro au peuple vénézuélien. Il avait tort. Le chavisme, le péronisme et les mouvements sociaux du même ordre peuvent survivre à leurs leaders. L’héritage de telles utopies sociales, toutefois, constitue un lourd fardeau pour le futur d’une nation.

Carlos A. Primo Braga, professeur d’économie politique internationale à l’IMD ­et directeur de l’Evian Group@IMD. Il enseigne dans le programme OWP (Orchestrating Winning Performance), qui aborde les dernières tendances en matière de management et d’innovation.

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