Le choix du président de l'UE doit échapper aux petits arrangements traditionnels

Tous ces efforts en valaient-ils la peine ? L'Europe a passé près d'une décennie à s'esquinter comme une gazelle qui aurait fini par donner naissance à un hippopotame. Après les essais ratés et la fausse couche de 2005, l'Europe a produit le traité de Lisbonne. Et maintenant ? Le risque est grand que cette victoire se transforme encore une fois en défaite. Car au moment de choisir les hommes, ou peut-être une femme, qui présideront et porteront la parole de notre Union européenne commune, la plupart des candidats pressentis ne trouvent pas d'écho public au sein de leur propre nation, et encore moins dans le reste de l'Europe et du monde.

Celui ou celle qui occupera la fonction de "haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité" (selon l'appellation formellement utilisée dans le traité de Lisbonne) sera un personnage très occupé, pour une tâche sans doute ingrate. L'on estime à deux cents le nombre de réunions par an, disséminées à travers le monde, pour lesquelles sa présence sera requise. Le chargé des affaires étrangères sera aussi commissaire européen, mais bien que vice-président de la Commission, il ne sera que très peu présent à Bruxelles pour peser dans les débats et sur les décisions de son institution.

Le titre de ministre des affaires étrangères de l'Europe est prestigieux, mais en pratique son occupant aura beaucoup de difficultés à définir une politique commune qui saura concilier les politiques étrangères nationales de Paris, Berlin, Londres et des vingt-sept Etats membres de l'Union. Devrait-il adopter une ligne dure vis-à-vis de la Russie, tel que le souhaitent le Royaume-Uni, la Pologne et la Suède ? Ou sera-t-il partisan d'une approche plus édulcorée, comme le revendique Berlin ? Devrait-il pousser l'Espagne et la Roumanie à reconnaître le Kosovo ou accepter plutôt que l'Europe se satisfasse d'une division interne sur la question ? Soutiendra-t-il l'hostilité viscérale de l'Autriche et maintenant de la France à l'égard de la Turquie ou décidera-t-il d'écouter les ambitions européennes de ce pays ?

Murmures

En définitive, le poste de secrétaire aux affaires étrangères ne sera peut-être pas aussi substantiel que ce que le souhaiteraient ceux qui attendent de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne que l'Europe se réincarne en une entité nouvelle et forte sur la scène mondiale. David Miliband, le ministre britannique des affaires étrangères, a fait connaître son intention de rester dans son pays pour tenter de sauver son parti bien-aimé face à des conservateurs plus antieuropéens que jamais. En ce sens, M. Miliband contribuera plus à la cause européenne depuis Londres qu'il ne le ferait grâce à ses voyages bruxellois.

Venons-en au futur président du Conseil de l'Union. Le poste de président de la Commission est occupé par José Manuel Barroso, celui-là même qui présidait la réunion des Açores en mars 2003 à l'issue de laquelle le feu vert fut donné à l'invasion de l'Irak. Faut-il laisser la place de président du Conseil à un autre conservateur ?

La droite britannique comme la gauche française se délectent d'avoir stoppé la candidature de Tony Blair. A sa place, on entend murmurer le nom d'un premier ministre belge. L'ancien premier ministre travailliste a apporté la paix en Irlande. Le second est resté à la tête d'un Etat qui n'a pas su dépasser le séparatisme parfois sectaire, fait de haines linguistiques et d'intolérance, affiché par une partie de sa population.

Pour ne pas déplaire aux vieux copains, pour éviter que les nouveaux arrivants ne nuisent aux gouvernements nationaux, il semble que les dirigeants européens, après avoir fait du traité constitutionnel un éléphant, aient maintenant décidé de choisir une souris pour guider l'Europe. Et ils attendent que ce choix emporte l'adhésion, l'enthousiasme et la passion.

Denis MacShane, député travailliste britannique, ancien ministre des affaires européennes, 2002-2005.