Le compromis sur l'union bancaire a créé une machine inutile et dangereuse

Le texte européen sur l'Union bancaire est très éloigné, comme cela était prévisible, des ambitions affichées au départ des négociations. Les négociations ont été une nouvelle fois à l'image de tant d'autres négociations de la zone euro où l'on noie les enjeux politiques derrière un vocabulaire technique, souvent inutile, en prenant le risque que nos concitoyens n'y comprennent plus rien ! Maintenant que le texte est arrêté, quelles conclusions en tirer ?

UN POINT CLÉ : LE RÔLE DES ETATS

Au cœur des discussions, se trouvait depuis plusieurs mois un sujet essentiel, le rôle que les citoyens veulent voir jouer aux Etats lors des crises bancaires. La question était assez simple : nos concitoyens considèrent-ils, comme le défendait l'Allemagne, que tout engagement des finances publiques allemandes et françaises pour gérer la crise d'une banque chypriote, espagnole ou italienne doit se faire avec l'accord des Etats allemand et français ?

Considèrent-ils également que la mise en faillite ou le sauvetage d'une banque allemande ou française nécessitent l'accord de l'Etat concerné puisque cette banque joue un rôle important dans le financement de l'économie nationale et qu'elle emploie quelques dizaines de milliers de salariés ? Ou bien, considèrent-ils, comme le souhaitaient les parlementaires européens et, de manière plus discrète, les Etats du sud de l'Europe (dont la France), que la Commission ou la Banque centrale européenne (BCE) peuvent prendre seules une telle décision ?

LE VIRAGE LIBÉRAL AURAIT PU DEVENIR VERTIGINEUX

Si l'on avait interrogé directement les citoyens français et allemands, il est fort probable qu'une très grande majorité d'entre eux auraient répondu que l'utilisation des fonds publics d'un Etat et la mise en faillite d'une grande banque ne peuvent être décidées qu'avec l'accord des Etats concernés. Et pourtant, au cours de ces derniers mois, le gouvernement allemand a été le seul à défendre cette idée !

Fort heureusement, il a obtenu gain de cause lors de la signature du compromis du 20 mars. Il s'en est fallu de peu que le virage libéral ne devienne vertigineux !

LE LIEN ENTRE LES BANQUES ET LES ETATS PLUS ÉTROIT QUE JAMAIS

La démarche visant à détacher les banques des Etats était d'autant plus surprenante que dans le même temps la BCE ferme les yeux sur la souscription par les banques de montants de dettes souveraines considérables. Les dettes souveraines domestiques détenues par les banques espagnoles et italiennes représentent désormais 30 % du produit intérieur brut (PIB), un doublement en deux ans.

Cette pratique qui consiste pour les banques à emprunter à près de zéro pour cent à la BCE et à investir à des taux très rémunérateurs en dettes domestiques est d'autant plus tentante que le régulateur prudentiel continue à considérer dans ses ratios réglementaires que la dette souveraine est un risque inexistant. Mario Draghi allège ainsi les pressions sur l'euro, se félicite du retour sur les marchés des pays en difficulté, mais cela n'est pas sans risque pour la stabilité financière à moyen terme.

POURQUOI UN DISPOSITIF TRÈS COMPLIQUÉ ET D'EFFICACITÉ LIMITÉE ?

Puisque le texte prévoit que la décision finale reste entre les mains des gouvernements, avec un mécanisme opérationnel très compliqué, et qu'aucune ressource financière n'est prévue pour traiter les dossiers des banques les plus importantes (le fonds de résolution est limité à 55 milliards d'euros et il n'y aura pas d'accès au MES, le Mécanisme européen de stabilité), la sagesse aurait été d'en rester au premier pilier de l'Union bancaire, à la supervision de 128 grandes banques, ou de limiter le champ du texte sur la résolution bancaire aux petites banques.

Bien contrôler les banques et leur interdire les opérations spéculatives, comme le propose la réforme présentée par le commissaire européen, Michel Barnier, est en effet le meilleur moyen d'éviter les incendies et d'avoir ensuite à les éteindre.

CONTRAIREMENT AUX ENGAGEMENTS, LE MODÈLE CHYPRIOTE A ÉTÉ RETENU

Si toute l'attention des négociateurs a été focalisée ces derniers mois sur le rôle des Etats et sur l'importance des financements à mettre en place, d'autres éléments doivent aussi retenir l'attention. Le sauvetage des banques est conçu en partie sur le modèle chypriote, contrairement aux assurances qui avaient été données il y a un an.

En exigeant que les pertes soient financées par la banque en difficulté au-delà des pratiques internationales, le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, a obtenu que l'on reste sur la ligne retenue au moment de la crise chypriote. Mettre à contribution non seulement les actionnaires et les porteurs d'obligations subordonnées, comme cela est normal, mais aussi les investisseurs obligataires ordinaires et les déposants au delà du montant garanti, c'est prendre le risque de déclencher des réactions systémiques. L'inverse de ce qui est recherché.

Dès qu'il y aura une rumeur insistante sur une banque, le risque existe que tout le monde s'en aille puisque l'on aura prévenu à l'avance les partenaires financiers de la banque qu'ils seront mis à contribution. A Chypre, il a fallu instaurer le contrôle des capitaux.

COMMENT LIQUIDER LES POSITIONS SPÉCULATIVES QUAND LES MARCHÉS SONT FERMÉS ?

Le processus de sauvetage ou de mise en faillite d'une banque, en vingt-quatre heures lors d'un week-end où les marchés sont fermés, oublie également que décider de la survie ou de la mort d'une banque en difficulté, c'est gérer des positions de marché très importantes, généralement systémiques.

Les encours de produits dérivés détenus par les grandes banques représentent dans certains cas dix ou vingt fois le PIB du pays concerné. Lors de l'affaire Kerviel, une dizaine de personnes ont été tenues au courant, pas plus, non seulement pendant le week-end mais aussi pendant deux jours où les marchés étaient ouverts. Ceci a permis de liquider les positions spéculatives sans bruit, sans désordre sur les marchés, sans propagation de la crise.

AUX ETATS-UNIS : SOUPLESSE ET EFFICACITÉ

C'est pour cette raison que les Américains ont maintenu avec la loi Dodd Frank un pilotage particulièrement souple des crises bancaires, autour de l'autorité politique, le secrétaire au Trésor, et de l'autorité de résolution, la FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation). Ce dispositif est destiné à gérer au mieux la période de zone grise des crises, celle où l'on ne sait pas si une banque doit faire faillite ou être sauvée et où il faut prendre des décisions dans la plus grande urgence.

En réalité, si l'union bancaire est à ce point introuvable, c'est tout simplement que l'on ne peut faire disparaître par miracle le risque systémique. Lors des crises, les réalités financières ont malheureusement vite fait de reprendre le dessus.

Par Jean-Michel Naulot, Ancien banquier.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *