Le Conseil des droits de l’homme est prisonnier des «blocs»

Un peu plus d’un an après la célébration en grande pompe du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), les temps ne sont pas à la fête. La résolution «contre la diffamation des religions», adoptée le 27 mars 2008 par le Conseil des droits de l’homme, en est peut-être l’exemple le plus frappant. L’adoption de cette résolution est emblématique d’une dérive dangereuse du Conseil qui tend à vider de leur substance les principes qu’il est censé promouvoir.

Elle pose par ailleurs la question de la menace et de la relativisation des principes adoptés par la déclaration au sein même de cette institution fondamentale, créée à juste titre pour le respect et la défense des droits humains, des normes universellement adoptées. Aujourd’hui, le bâtiment vacille. Les blocs qui se sont créés au sein même du Conseil, et cela malgré Durban II, tentent une nouvelle offensive, celle de nommer un nouveau rapporteur sur la question de la diffamation. Le but est de faire entrer dans un certain nombre de normes internationales l’interdiction de la diffamation. Le combat a commencé en 2005, il s’intensifie ces jours mêmes au sein du Conseil. Devant ce danger, les organisations de défense des droits de l’homme «demandent instamment au Conseil des droits de l’homme de rejeter toute résolution visant à promouvoir la notion de diffamation des religions».

Ne pas pouvoir émettre une position critique face aux dogmes religieux est une atteinte grave à la liberté d’expression, si durement conquise. Pourtant, cette résolution est passée. En quoi est-elle compatible avec l’article 19 de la DUDH (liberté d’expression et d’opinion) et pourquoi les Etats ne se mobilisent-ils pas plus fortement pour que de telles démarches ne puissent aboutir? Il y a urgence. En ce moment même, au sein du Conseil des droits de l’homme, ce qu’on nomme «le bloc», emmené par l’Organisation de la Conférence islamique (OCI) et une majorité de pays autoritaires, notamment Cuba et la Chine, tente en effet de faire entrer «la diffamation des religions» dans des normes internationales complémentaires plus contraignantes que celles figurant dans la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Il faut craindre que ces normes complémentaires ne se focalisent que sur la haine religieuse et la protection des religions, et non plus sur la lutte contre toutes formes de discriminations raciales. Ceci en dépit de l’avis de nombreux experts onusiens estimant que l’incitation à la haine religieuse est suffisamment couverte par les normes et les cadres juridiques normatifs internationaux existants.

Un exemple de ce retournement concerne une des mesures pourtant positives du Conseil: soumettre chaque pays à un «examen périodique universel». Grande première! La Chine, responsable de nombreuses violations (peine de mort, arrestations d’opposants, Tibet, etc.), passe sur le gril. Grand espoir chez les ONG… très vite déçu! Car la logique des blocs joue en faveur de l’Empire du Milieu. Et la Chine n’est pas condamnée. Elle qui réprime dans le sang les musulmans ouïgours est même soutenue par l’Organisation de la Conférence islamique. De surcroît, elle est saluée par certains pour «sa réussite dans le domaine des droits de l’homme». Un comble! Autre exemple, Orlando Zapaza, dissident cubain, qui vient d’être assassiné… Comment le Conseil qui, sous la pression de Cuba, a décidé d’annuler le mandat de Christine Chanet, experte indépendante, va-t-il réagir?

Sous l’impulsion de Kofi Annan et du Département fédéral des affaires étrangères, le Conseil des droits de l’homme a été créé pour mettre fin à la politisation excessive de la Commission. Le Conseil est une institution indispensable, il ne faudrait pas qu’elle se décrédibilise davantage en revenant aux dérives politiciennes de la commission. Le Conseil doit condamner sans atermoiements des agissements, qui au nom d’une culture, du marché, d’une politique ou d’une religion, constituent des atteintes à la dignité humaine.

Plus que jamais, les ONG, les Etats épris de justice, les institutions onusiennes et toute la société civile doivent se mobiliser et exiger une réforme du Conseil. Ceci pour combattre la menace du relativisme qui pèse sur lui et éviter que de nombreuses violations ne soient ignorées. En cassant la logique «politique» des blocs, cet organe doit retrouver son âme et promouvoir les objectifs de la Déclaration universelle qui sont sa raison d’être.

Leo Kaneman, co-directeur du Festival du film et forum international sur les droits humains.