Le «Consensus de Bruxelles», nouvel horizon des politiques européennes

«Chacun s’accorde sur la nécessité d’une transition verte permettant de limiter le réchauffement climatique.» Photo Jose A. Bernat Bacete. Getty Images
«Chacun s’accorde sur la nécessité d’une transition verte permettant de limiter le réchauffement climatique.» Photo Jose A. Bernat Bacete. Getty Images

Et maintenant ? Eh bien maintenant que la France, l’Allemagne, la Commission européenne et tant des capitales de l’Union se sont ralliées aux principes des emprunts communs et de la mutualisation des investissements pour faire face à cette crise, maintenant qu’il ne reste plus qu’à négocier un compromis avec les Etats les plus attachés à l’équilibre budgétaire pour atteindre l’unanimité et passer à l’acte, quelle est la prochaine étape ?

Elle sera, bien sûr, de définir ces investissements communs que nous nous apprêtons à financer en commun pour relancer nos économies et enrayer la montée du chômage mais chacun sent bien qu’il nous faut aussi…

Comment dire ? Le mot de programme serait bien trop fort car, au-delà du consensus émergeant autour des propositions de la France, de l’Allemagne, du Parlement européen et de la Commission, il n’y a heureusement pas, fût-ce dans les limbes, de parti unique ni même dominant en Europe. Il y a des gauches, des droites, des Verts, des centres qui ne partagent pas les mêmes ambitions. Cette diversité est une richesse politique qui ne va certainement pas disparaître. Elle est, même, un atout dont nous aurions bien tort de vouloir nous priver. Il n’y a ainsi pas plus de raison que de possibilité de doter les forces politiques européennes d’un programme commun mais le fait est, en même temps, que nous ressentons tous, nous citoyens européens, à tous les niveaux, dans tous les courants, dans chaque pays, un besoin de savoir ce qui nous unit et nous sépare dans le paysage politique modelé par les effets de cette pandémie.

Alors, souvenons-nous. La guerre nous avait laissé une Europe à reconstruire et à défendre face à l’URSS. C’est de cette nécessité qu’était sorti le consensus de l’après-guerre autour de la protection sociale, des politiques industrielles et du marché commun. Ajouté au renchérissement du prix des matières premières et à la progressive implosion du système soviétique, le succès même des Trente Glorieuses avait ouvert la voie à une nouvelle ère. Quelque quarante ans durant, de la première élection de Margaret Thatcher aux premiers morts de Wuhan, le «consensus de Washington» a défini les politiques des cinq continents en édictant que l’Etat n’était pas la solution mais le problème, que trop d’impôts tuait l’impôt et que le développement du libre-échange portait en lui la démocratie.

Comme l’URSS de Brejnev, ce néolibéralisme avait donné des signes d’essoufflement bien avant de sombrer mais depuis trois mois, c’est fait. L’Etat redevient la solution. L’endettement public n’est plus le legs que nous ne devrions pas laisser à nos enfants mais l’incontournable outil de sauvetage de leurs emplois. Nous entrons dans une troisième ère dont le signe le plus flagrant est l’abandon, par l’Allemagne, de son Schwarze Null, son exigence de déficit zéro.

Après le long règne d’Adam Smith, c’est le grand retour de Keynes mais où se situent alors nos forces politiques et sur quels objectifs s’accordent-elles ? C’est cela qu’il nous faut comprendre, dire et savoir aujourd’hui car, autant il serait inutile et vain d’aspirer à un programme commun aux grands partis européens, autant il nous faut définir ce «Consensus de Bruxelles» qui se substitue, désormais, au consensus de Washington et pourrait bien gagner le monde comme le thatchérisme l’avait fait hier.

De la nécessité d’une transition verte

Alors lisons, regardons, écoutons. Tout le monde n’a pas la même conception du rythme auquel nous devrions passer à un nouveau modèle industriel mais en dehors de marges confuses et négligeables, chacun s’accorde sur la nécessité d’une transition verte permettant de limiter le réchauffement climatique. Ce premier point de consensus est si réel que, dès avant la pandémie, toutes les propositions de la Commission étaient fondées sur son «Green Deal», son Pacte vert, dont le Parlement avait impulsé l’idée à une écrasante majorité.

Le deuxième point du Consensus de Bruxelles est qu’il nous faut concentrer nos moyens sur un effort concerté de recherches et de modernisation industrielles, c’est-à-dire sur une politique industrielle commune visant, en l’occurrence, à ne pas rater le tournant de l’intelligence artificielle.

Le troisième point de ce consensus est que l’on ne peut plus se reposer sur une répartition internationale du travail dans les domaines stratégiques et que l’Union européenne doit viser, comme le font la Chine et les Etats-Unis, à une souveraineté industrielle la mettant à l’abri de toute dépendance extérieure.

Le quatrième point de ce consensus est que l’Union doit avoir, comme les Etats-Unis et la Chine, les moyens de sa souveraineté politique, c’est-à-dire une défense et une diplomatie communes. Noir sur blanc dans les propositions franco-allemandes, en filigrane dans celles de la Commission, le cinquième point de ce consensus est que les Etats de l’Union ne doivent maintenant plus tarder à harmoniser leurs fiscalités et leurs protections sociales.

Quant au sixième point de ce consensus, il est – on le sait – que l’Union ne doit plus refuser de s’endetter en commun dès lors qu’il ne s’agit pas de mutualiser des dettes mais des investissements d’avenir, que la page thatchérienne se tourne et qu’il s’en ouvre une autre : celle du Consensus de Bruxelles. Alors on le voit bien. Autant il y a convergence sur ces six points, autant il y a divergences sur ce que devraient être la Défense commune, la Green Deal, les politiques industrielles ou les relations avec la Chine ou la Russie. Il n’y a pas de parti dominant dans l’Union mais le consensus qui s’y forme est tellement essentiel, novateur et porteur d’avenir qu’il est urgent de dire aux Européens qu’ils ne se perdent pas dans le brouillard mais marchent, au contraire, vers un horizon commun et que le Consensus de Bruxelles réunit entre les deux tiers et les quatre cinquièmes de leurs forces politiques – une majorité plus que qualifiée.

Bernard Guetta, député européen, groupe Renew Europe.

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