Le couple franco-allemand, uni au service de l'Europe

Le oui massif du peuple irlandais au référendum du 2 octobre, une semaine à peine après le succès électoral d'Angela Merkel en Allemagne et la réussite du sommet du G20 à Pittsburgh à partir des propositions Sarkozy-Merkel, sont trois événements-clés d'une importance capitale pour la France et pour l'Europe. Leur signification ne saurait être sous-estimée : c'est une nouvelle page de l'histoire européenne qui s'ouvre ; la dynamique européenne est enfin de retour.

La très large victoire à Dublin lève la dernière hypothèque politique qui pesait, depuis dix-huit mois, sur le traité de Lisbonne. Celui-ci devrait entrer en vigueur d'ici la fin de l'année, aussitôt après le dépôt des instruments de ratification polonais et tchèque : nous avons désormais la "boîte à outils" qui, dans les décennies à venir, permettra à l'Europe de relever les défis de la mondialisation. Et nous allons enfin pouvoir clore le long chapitre institutionnel qui avait dominé les débats européens depuis la fin de la guerre froide, il y a vingt ans.

Plus que jamais, la relation entre la France et l'Allemagne constituera le coeur de ce que j'appellerai la troisième phase de l'histoire européenne de l'après-guerre : après la réconciliation entre 1945 et 1989, après le malentendu et les doutes nés de la réunification à partir de 1989, il nous revient, aujourd'hui, de mettre au service de l'Europe l'unité de la France et de l'Allemagne, réalisée par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel depuis 2008.

Bref retour sur le passé pour mieux comprendre les enjeux qui nous attendent.

La réconciliation tout d'abord : c'est dans l'Europe de la guerre froide, encore marquée par les cicatrices de l'après-guerre et de l'Occupation, que malgré tout, Français et Allemands ont su se réconcilier. Et c'est cette réconciliation qui devait servir de base à la construction européenne, même s'il s'agissait alors de la construction d'une moitié d'Europe avec une moitié d'Allemagne.

Le 9 novembre 1989, il y a bientôt vingt ans, s'est ouverte la deuxième phase de l'histoire européenne de l'après-guerre, avec la chute du mur de Berlin.

Je suis assez vieux pour avoir connu ce Mur et la guerre froide, les champs de mines et les vopos, les vingt divisions soviétiques "de choc" massées dans l'ex-RDA et les scénarios d'escalade quasi instantanée vers l'apocalypse nucléaire, qui servaient alors de base à la planification de nos armées.

La réunification de l'Europe dans la paix fut un immense succès. Mais disons-le franchement, ce moment-clé de l'histoire européenne fut aussi celui d'un rendez-vous manqué entre la France et l'Allemagne, compte tenu des soupçons, des déceptions, et des malentendus croisés qui ont ressurgi à cette époque, avec en particulier la visite de l'ancien président de la République à Berlin-Est le 20 décembre 1989. Une visite qui apparaissait, déjà à l'époque, en complet contretemps avec l'Histoire : le chancelier Kohl ne venait-il pas d'annoncer, trois semaines auparavant, son plan en dix points qui ouvrait la voie à l'unification ?

Cette incompréhension franco-allemande, ayons le courage de le reconnaître, a laissé des traces dont l'Europe a payé le prix, notamment face au conflit yougoslave. Depuis, même si nos deux pays se sont cherché chacun une place dans le nouvel ordre mondial, le partenariat franco-allemand a été renoué, et c'est tant mieux.

La crise le démontre chaque jour depuis dix-huit mois : le partenariat franco-allemand a dépassé le stade de la réconciliation afin de devenir une véritable "entente franco-allemande" pour reprendre l'expression du président de la République. Cette entente s'exerce désormais avant tout au service de l'Europe. Au G20 de Pittsburgh, il a été démontré que toutes les avancées obtenues, que ce soit sur la limitation des bonus, le niveau minimal des fonds propres ou la fin des paradis fiscaux, l'ont été sur la base de l'entente franco-allemande, qu'il nous faut à présent approfondir sur tous les plans.

La France souhaite que le 20e anniversaire de la chute du mur de Berlin en novembre soit véritablement un événement partagé entre la France et l'Allemagne, pour montrer à nos amis allemands que nous prenons aujourd'hui toute la mesure d'un événement qui fait désormais pleinement partie de notre histoire commune. Vingt ans après, nous devons réussir ce rendez-vous avec l'Allemagne.

Le gouvernement français veut également assurer le nouveau gouvernement allemand de notre disponibilité à poursuivre entre nos deux pays une coopération sans équivalent dans l'Europe et dans le monde : promouvoir une stratégie industrielle capable de faire émerger des champions européens, préparer la sortie de crise en investissant dans les secteurs d'avenir et la promotion de "technologies propres", bâtir, enfin, l'indispensable indépendance énergétique de l'Europe et réussir la conférence de Copenhague pour fonder notre croissance sur une économie décarbonée.

Le prochain conseil des ministres franco-allemand constituera un rendez-vous important pour démontrer la vigueur de cette relation, qui joue, on ne le dira jamais assez, un rôle moteur en Europe.

Sur tous ces sujets, l'Europe, avec ses 500 millions d'hommes et de femmes, la première économie mondiale, son industrie, son agriculture, mais aussi ses valeurs démocratiques plus indispensables au monde que jamais, peut et doit être l'un des pôles fondamentaux du système international de demain. La France et l'Allemagne unie doivent en être le coeur.

Tout est affaire de volonté. A nous de répondre ensemble à la question fondamentale que nous pose le président de la République, mais aussi, à leur manière, l'Amérique et la Chine : "L'Europe veut-elle faire le XXIe siècle ou se contenter de le subir ?" C'est là tout l'enjeu à la fois des dernières élections allemandes et du référendum irlandais. Ces deux bonnes nouvelles, coup sur coup, constituent un formidable signal d'espoir pour l'Europe et pour sa place dans le monde à venir.

Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes.