Le Covid-19 a révélé la fragilité économique du Moyen-Orient

Un graffiti montrant des médecins masqués en raison de la pandémie de Covid-19 dans le camp de réfugiés de Nusseirat, au centre de la bande de Gaza, le 16 novembre 2020. Archives AFP
Un graffiti montrant des médecins masqués en raison de la pandémie de Covid-19 dans le camp de réfugiés de Nusseirat, au centre de la bande de Gaza, le 16 novembre 2020. Archives AFP

Le Covid-19 a au cours de l’année dernière affaibli un Moyen-Orient déjà confronté à de graves défis économiques, environnementaux et structurels. Les prix du pétrole ont continué de baisser à un rythme régulier, plombés par une contraction mondiale à long terme de la demande ; le marché du travail s’est trouvé perturbé, avec la pénurie de main-d’œuvre qualifiée importée en raison de la pandémie et du poids croissant des dépenses du secteur public. Cela s’est à son tour traduit par une dette publique accrue, des déficits croissants et une ouverture des entreprises publiques aux capitaux étrangers privés.

Selon l’ONU, « les conséquences de la pandémie seront probablement profondes et durables ». L’économie globale de la région devrait se contracter en moyenne de 5,7 %, les économies les plus fragiles se contractant de 13 %. Les marchés boursiers arabes encore jeunes et prometteurs ont chuté de 23 % – une perte globale de 152 milliards de dollars –, privant la région de capitaux qui, autrement, auraient pu être investis dans la phase de relance.

Dans une région où 14 millions de personnes étaient déjà au chômage, l’Organisation internationale du travail estime à 17 millions les emplois supplémentaires qui auraient disparu en 2020. La pauvreté a par conséquent augmenté, touchant environ 14 millions de personnes. Le total de ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté représente désormais environ un quart de la population arabe totale. Ces nouveaux venus appartenaient jusqu’à récemment à la classe moyenne ; une paupérisation qui pourrait bien avoir un impact sur la stabilité sociale et politique.

État libanais défaillant

Si 2020 a été une année catastrophique pour l’ensemble des économies de la région MENA, elle le fut davantage pour un Liban déjà vulnérable. L’énorme double explosion du port qui a suivi le soulèvement du 17 octobre a révélé – après des années de déni de la part des dirigeants politiques et financiers – ce qui est désormais clairement un État en faillite. Le gouvernement libanais dépensait déjà environ 50 % de ses revenus uniquement pour payer les intérêts, et maintenant, la dette publique s’est élargie à 94,3 milliards de dollars, soit environ 176 % du PIB.

Cela rend difficile l’estimation de l’impact direct du Covid-19 sur le Liban. Des entreprises étaient déjà en cours de fermeture avant la pandémie. Les estimations pré-Covid-19 pour 2020 prévoyaient une baisse du PIB du Liban d’environ 10 %, avec une inflation d’environ 25 %. On a estimé qu’à la fin de 2020, le chômage passerait de 12 à 30 %, la pauvreté atteindrait 45 % ou plus. Ce qui est sûr, c’est que le Covid-19 contribue à la crise et va probablement induire une hausse du chômage à plus de 50 %.

Cet État en faillite chemine avec une société affaiblie, menacée par la pénurie de liquidités, les difficultés alimentaires, la dégradation des conditions sanitaires et même l’insécurité physique – une réalité exacerbée par la terrible double explosion du a double explosion a provoqué des dommages estimés entre 3,8 et 4,6 milliards de dollars, portant les besoins de financement extérieur du Liban pour les quatre prochaines années à plus de 30 milliards de dollars.

Début décembre, la Banque mondiale a publié son rapport économique du Liban. Dans ce qui pourrait être interprété comme une accusation claire et directe adressée aux classes dirigeantes libanaises, le rapport souligne « l’absence d’action politique efficace (qui) a plongé l’économie dans une dépression ardue et longue ». Le rapport avertit que « la pauvreté va probablement continuer à s’aggraver et englober plus de la moitié de la population. Une contraction du PIB libanais par habitant en termes réels et une inflation élevée entraîneront sans aucun doute une augmentation substantielle des taux de pauvreté et affecteront la population à différents niveaux, notamment : la perte d’emplois productifs, la baisse du pouvoir d’achat et le blocage des envois de fonds internationaux. Une main-d’œuvre hautement qualifiée est de plus en plus susceptible de saisir des opportunités potentielles à l’étranger, ce qui constitue une perte sociale et économique permanente pour le pays ».

Changement radical

Lorsqu’on pense à ce qu’il faut pour faire face à une situation sociale et économique aussi désastreuse dans le monde arabe, on ne peut qu’envisager la nécessité d’un changement radical dans la manière dont les sociétés sont structurées. Il s’agit bien sûr d’un débat ouvert, mais il est évident que, quelle que soit la gravité de la crise et quels que soient ses dégâts, il est temps de commencer à réfléchir à un nouveau modèle.

Dans un rapport intitulé Pathways for Equitable Growth que nous avons publié avec plusieurs collègues de la région et de l’étranger, les contours du nouveau modèle coulent de source : une société qui crée plus d’emplois, redistribue la richesse plus équitablement, et où les systèmes éducatifs sont repensés et adaptés aux défis futurs, et qui intègrent donc l’innovation, la pensée critique et la responsabilité.

Pour le Liban, les remèdes sont malheureusement beaucoup plus drastiques ; il sera difficile d’échapper à une thérapie de choc très douloureuse. Le petit pays est aujourd’hui en état de faillite quasi totale. Aucune sortie de crise ne peut être envisagée sans une aide et un soutien extérieurs conséquents. Cela suppose par ailleurs des réformes structurelles et systémiques profondes qu’il est presque impossible de mettre en place au sein de la même structure de pouvoir, et tant que le contexte régional demeure aussi instable.

Joseph Bahout, professeur associé de sciences politiques et directeur du Issam Fares Institute for Public Policy and International Affairs de l’AUB.

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