Le Covid-19 ou l'échec de la centralisation

Emmanuel Macron le 13 avril lors de sa quatrième intervention à la télévision depuis le début du confinement. Photo Denis Allard pour Libérat
Emmanuel Macron le 13 avril lors de sa quatrième intervention à la télévision depuis le début du confinement. Photo Denis Allard pour Libérat

Le fiasco entourant la gestion du Covid-19 en France est paradoxalement porteur d’une bonne nouvelle : l’échec de la centralisation. De la fourniture des masques à celle des tests, le concept consistant à tout décider d’en haut, travers français encore accentué sous Macron, a provoqué un échec dont il faudra chercher jusqu’aux responsabilités pénales. Notre Etat pyramidal, un des plus centralisés du monde, a failli. Pour pallier ses manques en cascade, une multitude d’initiatives locales se met en place. L’ère est au «do it yourself», en français: «Démerde-toi». Tu veux un masque ? Couds-le toi-même ou mets sur pied une petite fabrique. Tes voisins n’ont plus rien à manger ? Organise une collecte, ou participe à de l’aide alimentaire à plus grande échelle, y compris en réquisitionnant des lieux, comme un McDo à Marseille. Toutes ces initiatives obligent les institutions à suivre. Parfois, certaines ont anticipé le mouvement. Des maires se sont retroussé les manches, des régions sont allées en Chine acheter des masques, des départements s’engagent.

Si ce fourmillement crée un déclic décisif, il comporte néanmoins un pendant contradictoire. Pour beaucoup, les échecs démontrent qu’il faudrait plus d’Etat. Plus ça va mal, plus on se tourne vers cet «Etat nounou» comme l’appellent, en se moquant, les libéraux. Ce réflexe traverse l’ensemble du spectre politique et il est encore plus difficile de s’en affranchir quand tout s’effondre. Or, le besoin n’est pas de «plus» mais de «mieux» d’Etat. Il y aurait grand risque à renforcer un dirigisme qui a si mal opéré et qui sait aussi se tirer des balles dans le pied. Car les absences de l’Etat s’expliquent notamment par les politiques de désengagement qu’il a lui-même décidées. Et comment oublier qu’après la crise financière de 2008, il a volé à coups de milliards d’euros d’argent public au secours du système bancaire et néolibéral voué à son affaiblissement?

Face à ces critiques, on entend déjà les défenseurs de l’Etat centralisé crier «halte là !» en agitant leur chiffon rouge : qui, dans un pays décentralisé, fera rempart aux diktats des potentats locaux ? Seul un pouvoir fort le peut! Erreur : renforcer des contre-pouvoirs locaux ou régionaux serait au moins aussi efficace.

Télétravail vs Grand Paris ?

La crise de la centralisation prend une tournure encore plus pressante avec le recours massif au télétravail, qui s’annonce durable. Là, c’est une révolution qui se profile. Quel intérêt à poursuivre le Grand Paris si les déplacements en Ile-de-France diminuent drastiquement? Certes, l’amélioration des transports de banlieue à banlieue est indispensable, mais est-il opportun d’y déverser 33 milliards d’euros ? Combien, parmi les bureaux et logements qui se développent autour des futures gares de métro ou RER, relèvent désormais d’investissements surdimensionnés et inutiles ?

Toute la politique de l’immobilier de bureau est à repenser à l’échelle nationale, ce qui remet en première ligne la notion un peu oubliée d’«aménagement du territoire», déjà au cœur des revendications des gilets jaunes. Ils ciblaient les flagrantes inégalités symbolisées par ces lignes TGV qui convergent toutes vers la capitale, engendrant un développement du territoire à deux vitesses. Jusqu’ici, peu de voix audibles s’en offusquaient, car pour donner du poids à toute critique, il vaut mieux être au centre du pouvoir, à Paris, dans le grand tourbillon des idées et des polémiques.

Il est frappant que tous les médias dits nationaux y sont installés, ce qui n’encourage pas à développer des visions divergentes. Quand on habite la capitale, on mesure mal les travers de la centralisation ou les disparités de territoire ; cela paraît logique pour tous ceux qui y subissent déjà tant d’autres contraintes injustes. Mais l’entre-soi des pouvoirs concentrés à l’intérieur du périphérique est porteur d’un danger mortel : l’arrogance, qui a conduit nos dirigeants à minimiser au départ l’ampleur de la pandémie, convaincus que «ce genre de désastre se produit chez ces pauvres Africains ou éventuellement en Asie, mais pas dans une grande puissance riche et occidentale comme la nôtre, vous n’y pensez pas, cher ami».

Simplifier le mille-feuille administratif

Hélas, malgré ce sombre bilan du système pyramidal, l’Etat sera sans doute tenté dans les prochains mois de le renforcer, encouragé par les appels à l’aide de citoyens et de collectivités locales exsangues. Pourtant, une alternative consiste, pour alléger son fardeau, à encourager les expérimentations locales et à simplifier ce mille-feuille politico-administratif devenu un cauchemar. La décentralisation commencée en 1981 s’est arrêtée à mi-chemin en n’attribuant pas aux régions les pouvoirs qui en auraient fait les égales des Länder ou des provinces espagnoles. Depuis, les tentatives de «simplification» ont provoqué l’effet inverse en créant de nouveaux échelons sans en supprimer d’autres.

Or, des démocraties voisines ont choisi avec succès une forte décentralisation, comme l’Allemagne qui a beaucoup mieux géré les effets du Covid-19 grâce notamment à une bonne coordination entre Etat fédéral et Länder, même si d’autres critères entrent en jeu. Il est temps de s’en inspirer, c’est là que résident la modernité et l’efficacité.

Michel Henry, journaliste (ex de Libération).

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