Le crépuscule de l’“en même temps”

C’est ce week-end que débutent les travaux du XXe Congrès du parti communiste chinois (PCC) , un an après le centième anniversaire de sa fondation. L’actuel secrétaire général Xi Jinping y demandera son renouvellement pour un troisième mandat, voire un mandat à vie comme Mao Tsé-Toung en son temps.

Sans mandat électoral d’aucune sorte et sans interruption, le PCC dirige la Chine depuis soixante-douze ans. Certes Lénine et ses successeurs sont au pouvoir depuis un peu plus longtemps, de même que le parti des travailleurs en Corée du Nord. Mais aucune autre dictature que la Chine n’a pu réaliser l’exploit de transformer en cinquante ans un pays en état de famine alimentaire dans lequel il se trouvait sous Mao Tsé-toung en deuxième puissance économique mondiale.

Est-ce durable ? Deux thèses opposées s’affrontent : d’un côté ceux qui pensent que la Chine est devenue un géant économique destiné à occuper dans un avenir proche la place qu’elle avait occupée jusqu’au milieu du XIXe siècle, de première économie du monde, à cause des qualités intrinsèques d’une population industrieuse guidée d’une main ferme par l’Etat. Celui-ci apporte la stabilité politique permettant de baliser l’avenir et l’environnement économique, facilitant ainsi la planification à long terme des entreprises.

Evaporation. Mais ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. Du fait de sa détermination à ce que le PCC monopolise le pouvoir, Xi est entré en conflit frontal avec certaines entreprises parmi les plus innovantes et les plus dynamiques. Avec pour conséquence l’évaporation de plus de 2 000 milliards de valeur des entreprises technologiques chinoises.

A l’autre extrême, il y a la conviction que l’économie chinoise va dans le mur, du fait du carcan et de l’enfermement que l’Etat impose aux populations. En d’autres termes, les Chinois peuvent-ils en même temps continuer à s’enrichir et rester sous le joug de la dictature d’un parti communiste ? Nombre d’observateurs de la Chine ont prévu la fin de cette alliance de l’« en même temps », celle d’un régime très autoritaire avec une économie dont la prospérité appelle la liberté, comme je l’avais exprimé dans ma chronique de mars 2019 « Quand la Chine trébuchera » .

Ils mettent en avant la double fragilité du modèle chinois de développement économique : le contrôle de l’économie sous l’égide d’un seul parti serait difficilement compatible avec la liberté requise pour la prospérité d’une économie moderne. La société de surveillance qui s’est instaurée en Chine, avec ses 415 millions de caméras de surveillance installées sur tout le territoire, est autrement plus intrusive que la société de surveillance américaine dénoncée il y a quelques années par Shoshana Zuboff, professeur à Harvard.

Culte de la personnalité. Qui plus est, le culte de la personnalité réintroduit par Xi , sur le modèle de Mao, a le défaut majeur de marginaliser la remarquable usine à sélection des personnalités et des intelligences qu’était le parti, qui conduisait les meilleurs à accéder au saint des saints du Comité central, l’organe de direction collective. Après le désastre économique que fut la dictature maoïste, les dirigeants chinois prirent grand soin d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise en prenant des mesures permettant d’éloigner le spectre du culte de la personnalité.

Mais en vain, avec la présence à vie de Xi à la tête de la Chine, le loup de la flatterie est entré dans la bergerie. C’est le grand bond en arrière autoritaire après le grand bond en avant des réformes libérales initiées par Deng Xiaoping, et confirmé par Xi en 2017 au Forum économique de Davos : « Le marché doit devenir le moteur décisif du processus d’allocation des ressources ». Faisant depuis complètement machine arrière, Xi a vanté les mérites d’une politique industrielle centralisée et le rôle essentiel des entreprises publiques, qu’un économiste chinois appelle les deux jambes du parti communiste.

Il a mis en avant le slogan de la prospérité commune (common prosperity) donnant la priorité à la sauvegarde des équilibres sociaux et à la sécurité nationale, et non à la mentalité de croissance des trente dernières années. Reconduit à la tête du pays, Xi sera exposé à de nombreux problèmes, le moindre n’étant pas la situation démographique proprement alarmante.

Selon les démographes, la population chinoise de près d’un milliard et demi d’individus commencera à baisser dès cette année, au moment même où débute le nouveau mandat de Xi, et ne sera plus que de 400 à 800 millions en 2100. Et la Chine n’est encore qu’une économie d’importance moyenne, si on rapporte celle-ci à la taille de sa population. Certes, le nombre fait la force. Il n’en demeure pas moins que le PIB moyen par habitant est de 17 000 dollars, alors qu’il est de 48 000 dollars en Europe et de plus de 65 000 dollars aux Etats-Unis. Le FMI la classe au 75e rang selon ce critère, au niveau du Mexique et de la Thaïlande. La Chine se trouve dans la même situation que la Russie, l’Afrique du Sud et le Brésil dans leur ambition de rejoindre le club des nations riches.

Xi sera-t-il dans l’histoire celui qui a conduit la Chine sur le toit du monde, devenue la première puissance économique et militaire mondiale, ou celui, comme Leonid Brejnev dont le conservatisme a fossilisé l’économie dans l’état lamentable dans lequel elle s’est enfoncée ? Rappelons la prophétie de Paul Samuelson, prix Nobel américain d’économie , dans les éditions de la fin des années 1950 de son célèbre manuel d’économie selon lesquelles l’économie soviétique aurait rattrapé, voire dépassé l’économie américaine d’ici quelques années. Au fil des nombreuses rééditions ultérieures de son ouvrage, le rattrapage se faisant manifestement attendre, il n’en continua pas moins à faire cette prévision, simplement en repoussant à chaque fois la date de sa réalisation.

Cette prophétie concernant l’URSS est à rapprocher de la comparaison de Frank Dikkötter dans China after Mao : the rise of a superpower: « La Chine est un pétrolier qui de loin apparaît impeccable avec son capitaine et ses lieutenants se tenant fièrement debout sur le pont, tandis qu’aux niveaux inférieurs dans les soutes, les matelots s’échinent désespérément à pomper l’eau et boucher les trous pour maintenir le navire à flot ». Cet « en même temps » chinois n’est pas sans conséquence pour les investisseurs. Il entraîne en effet une insécurité juridique et réglementaire qui justifie une décote de valorisation et de diversification de portefeuille particulièrement importante des marchés et des actions chinois par rapport à leurs homologues occidentaux.

Bertrand Jacquillat est vice-président du Cercle des économistes et senior advisor de Tiepolo.

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