Le crime de Xi Jinping

«Tout ce qui est excessif est insignifiant» disait fort justement Talleyrand. Pour cette bonne raison, qualifier de «crime» la décision de Xi Jinping, premier secrétaire du Parti communiste chinois, de revenir à un mandat à vie à la tête de la Chine et d’en finir avec la direction collégiale du Parti, pourrait sembler abusif. Malheureusement, il n’en est rien: la dynastie rouge renoue aujourd’hui avec ses pires démons, le totalitarisme, l’arbitraire et le repli du pays sur lui-même. Une façon absurde d’entrer dans le XXIe siècle.

Un peu de recul s’impose. Au siècle dernier, la révolution chinoise a été une copie conforme de celle en Russie. Mao décide cependant d’aller plus vite et plus loin que Lénine et Staline. «Le Grand Bond en avant» de 1958, à Pékin, est une réplique aggravée du «Grand Tournant» de 1929, à Moscou. La farce de la modernisation chinoise tourne au tragique puisque «le grand timonier» fait périr des dizaines de millions de ses concitoyens dans des famines atroces. Des chercheurs comme Lucien Bianco situent aujourd’hui Mao comme le plus grand criminel de l’histoire moderne, l’emportant largement sur Staline dans le bal macabre des révolutions modernes.

C’est sur ce tas de ruines que Deng Xiaoping sauve le PCC en libéralisant l’agriculture, en ouvrant le pays aux investissements étrangers dès la fin des années 1980. Surtout, il limite le pouvoir suprême à dix années, et instaure de facto un gouvernement aussi collégial que possible, pour rendre impossible le retour des utopies meurtrières du maoïsme.

Le 11 mars, la fin des illusions

S’ensuivent les «Trente glorieuses» chinoises, l’accession de la Chine au rang de deuxième puissance économique mondiale, et surtout l’avènement d’une classe moyenne, des centaines de millions de Chinois sortant de la pauvreté. Le PCC se modernise, ses 85 millions de membres sont recrutés dans les élites du pays, et constituent une synarchie des talents. On ne vote pas, car le PCC serait assuré d’être balayé par des forces populistes, les laissés-pour-compte de la croissance se comptant toujours en centaines de millions de citoyens. Mais on peut voyager, étudier à l’étranger, s’ouvrir au monde. Jusqu’en 2005, un vent de tolérance souffle sur le pays. Les historiens y célèbrent la dynastie Tang (618-907), modèle d’ouverture et de modernité. Et l’on peut encore imaginer qu’un Etat de droit finira par s’imposer aux diktats du PCC, pour la bonne marche des affaires. Bref, que la modernisation de la Chine va se poursuivre, lentement mais sûrement.

Las, c’en est fini de ces illusions. Ce 11 mars 2018, c’est à un véritable «Grand bond en arrière» que Xi Jinping convoque le pays, en emprisonnant son 1,4 milliard de concitoyens dans un carcan totalitaire.

D’abord, il s’assure un pouvoir absolu, à vie. Mais surtout, il crée un super-Ministère de la sécurité publique, doté d’un budget supérieur à celui de la Défense, qui a tous les pouvoirs de faire disparaître pendant trois mois n’importe quel cadre, enseignant, journaliste ou artiste, sans le moindre jugement ou recours possible. Avec les 250 millions de caméras à reconnaissance faciale déjà installées dans le pays (elles seront bientôt 400 millions), et un système de note de moralité dite de «crédit social» qui sera bientôt attribué à chaque Chinois (à partir de son comportement sur Internet, dans la rue, au travail, ou vis-à-vis de sa banque) et qui décidera de pénalités pouvant aller jusqu’à l’interdiction de prendre le train, ce sont les instruments d’un régime de terreur qui se mettent en place.

Contre le peuple chinois

Cette politique répressive contre le peuple chinois nous concerne directement. En matière de politique internationale, la Chine va maintenant combattre nos systèmes démocratiques, considérés comme des adversaires du totalitarisme chinois. Cette politique nous prive également de l’intelligence chinoise, puisque dans l’ordre que le PCC met en place, les têtes qui dépassent et tous les esprits libres seront châtiés et éliminés. La crainte, qui déjà imprègne une société chinoise sans lois ni justice véritable, va encore davantage écraser 1,4 milliard d’âmes, et forcement faire régresser la Chine, la ramener à une société ou le seul droit sera celui d’obéir à un parti kafkaïen et de consommer.

De cet enfermement, de cet univers cauchemardesque, beaucoup de Chinois voudront s’échapper et viendront nous apporter leurs talents qui enrichiront nos sociétés libres. Mais en Chine, la créativité, l’originalité, l’ouverture d’esprit, tout ce qui fait la richesse d’une grande civilisation ouverte seront combattus par Xi Jinping et sa répression contre l’intelligence chinoise. Il faut s’y résoudre: le mensonge désormais règne en Chine sur le monde imaginaire et rêvé du PCC d’une société de robots humains soumis et obéissants. En imaginant ce monde fait d’arbitraire et de peurs, Xi Jinping montre qu’il méprise son peuple. C’est là le crime d’un tyran.

François Hauter, journaliste.

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