Le cyclone Idai montre la réalité meurtrière des changements climatiques en Afrique

Lundi à Beira, après le passage du cyclone Idai. Photo Rick Emenaket. AFP
Lundi à Beira, après le passage du cyclone Idai. Photo Rick Emenaket. AFP

Alors que la Semaine africaine du climat se déroule au Ghana, le Mozambique, le Malawi et le Zimbabwe prennent la mesure des ravages du cyclone Idai qui vient de traverser leurs villes et leurs villages. Idai a pris des centaines de vie et laissé un sillon de destruction derrière lui. Sur un continent déjà torturé par les dérèglements climatiques, Idai est un nouveau rappel glaçant du pouvoir destructeur de ce type de tempêtes, qui vont devenir de plus en plus fréquentes à mesure que la planète se réchauffe.

Le cyclone a atteint les côtes le jour de l’ouverture, à Nairobi, du «One Planet Summit» convoqué par le président, Emmanuel Macron. Prenant de la vitesse, transportant des pluies torrentielles et des vents qui ont atteint 195 km/h, Idai a causé inondations et glissements de terrain, ruiné les récoltes et détruits les routes, affectant ainsi des millions de personnes. La ville de Beira, au Mozambique, a été la plus durement touchée, avec près de 80% des habitations et des infrastructures détruites.

Alors que les communautés les plus vulnérables font face à la réalité des dérèglements climatiques dans leur vie quotidienne, les chefs d’Etats et de gouvernements réunis au One Planet Summit ont tenu leurs discussions dans le confort de salles climatisées. Au cours du sommet, le président Macron a encouragé une «collaboration mondiale» afin d’assurer la protection durable des forêts, et le Président kenyan, Uhuru Kenyatta, s’est engagé sur l’objectif d’au moins 10% de couvert forestier durablement protégé d’ici à trois ans.

Ces engagements seraient risibles s’ils n’étaient pas tragiques. L’Afrique doit faire bien plus pour atteindre la «résilience» climatique. Le cyclone Idai en est une autre démonstration éclatante. Alors que nombre de pays amorcent des trajectoires de réduction de leurs émissions de CO2 et engagent une transition énergétique véritable, les gisements de charbon africains restent grands ouverts aux investisseurs. A l’exception de quelques pays d’Asie (Indonésie, Vietnam, Bangladesh tout particulièrement), le continent africain demeure un eldorado pour les promoteurs du charbon et les grandes entreprises déterminés à conduire ce qu’on appelle en anglais sa «coal-onization», soit la remise sous tutelle du continent à travers le contrôle de l’industrie du charbon.

L’Afrique à l’origine de seulement 4% des émissions de CO2 mondiales

De nouvelles centrales sont prévues de l’Afrique du Sud au Sénégal, au Kenya, au Mozambique justement, de même qu’en République démocratique du Congo ou en Côte d’Ivoire. La plupart sont cofinancées par la Banque africaine de développement, au Conseil d’administration de laquelle siègent des Etats africains mais également des gouvernements européens, nord et sud-américains et asiatiques. C’est par exemple le cas des centrales thermiques en construction à Bargny (dans la banlieue de Dakar, au Sénégal), à San Pédro (Côte-d’Ivoire), sur l’ile de Lamu (au Kenya) ou de la centrale à charbon de Thabametsi, dans la province du Limpopo, en Afrique du sud, à la frontière du Botswana.

La situation est semblable s’agissant du pétrole, une source d’énergie que continuent de convoiter les entreprises étrangères en Afrique, continent qui pèse 8% de la production mondiale, soit 7,5 millions de barils par jour. En dépit de la chute des cours sur les cinq ans passés, de nouveaux acteurs sont venus grossir la liste des compagnies comme Total, Shell, Exxon, BP ou Eni. En Ouganda par exemple, un nouveau champ est en passe d’être exploité, fruit de la coopération entre Total, la compagnie chinoise CNOOC et l’entreprise britannique Tullow Oil. Perenco, une compagnie franco-britannique, vient de prendre pied au Gabon et en RDC, et prévoit de produire un demi-million de barils par jour En février 2019, Total a annoncé un énorme découverte de condensat de gaz et de pétrole léger offshore en Afrique du Sud, dont le potentiel total est estimé à 1 milliard de barils.

Même si l’Afrique n’est à l’origine que de 4% des émissions de CO2 mondiales – alors que les pays les plus industrialisés (le G20) en produisent 80% –, c’est le continent qui en paie le prix le plus dur. Pour nous, le changement climatique ne relève pas du risque possible ; il s’impose en réalité, visible dans les familles déchirées, les terres et les moyens de subsistance perdus, les enfants et les jeunes sans espoir qui n’ont d’autre option que la migration pour peut-être construire leur vie.

Partout sur le continent, les communautés locales craignent de perdre leurs terres alors que les inondations exceptionnelles, les tempêtes imprévues et les sécheresses de plus en plus longues frappent un pays après l’autre au fur et à mesure des saisons. Les réserves de faune et de flore s’épuisent, l’accès à l’eau est devenu un privilège, et les événements climatiques extrêmes sont de plus en plus nombreux, laissant des milliers de familles sans logis, sans aucune ressource et moyen de survivre.

Certains semblent penser que l’accroissement du couvert forestier, ou des milliards accordés à des gouvernements par ailleurs rongés par la mauvaise gestion et la corruption vont empêcher de tels désastres de se produire et vont résoudre la crise climatique mondiale. C’est une insulte au visage de tous les peuples qui affrontent des souffrances indicibles à tous les coins du continent, et ce pendant que de nouvelles infrastructures charbonnières, mines ou centrales thermiques, se développent, et que la marchandisation du carbone sous toutes ses formes est devenue la norme.

Vision et leadership

La prolifération des infrastructures d’exploitation et de transport d’énergies fossiles s’opère au dépend de la santé des populations, de la stabilité du climat et de la préservation des écosystèmes. Pourtant les solutions à cette crise sont connues. Elles impliquent notamment d’en finir avec l’extraction et la combustion du charbon, de renoncer au financement de toute nouvelle infrastructure charbonnière et d’accélérer l’investissement dans les énergies renouvelables. La coopération internationale et le financement des économies industrialisées sont indispensables pour combattre les dérèglements climatiques. Et cet effort devrait en premier lieu porter sur le fait de renoncer à promouvoir et à financer de nouvelles infrastructures charbonnières, pétrolières ou gazières où que ce soit sur la planète.

Mais plus que d’argent, la transition énergétique est affaire de vision, et de leadership. Les pays africains doivent accroître leurs efforts face à la dégradation de l’environnement et la croissance des émissions de CO2, par exemple en décentralisant les systèmes de production et de fourniture d’énergie, et en introduisant des politiques fiscales qui favorisent les énergies solaires et éoliennes au détriment des investissements dans les fossiles. Les gouvernements africains doivent incontestablement mieux protéger leurs populations, mais les entreprises historique du secteur des énergies fossiles devront rendre compte, y compris face à la justice, des conséquences de décennies d’exploitation totalement déréglementée du charbon, du pétrole et du gaz sur le continent.

Fatigués de la vacuité des promesses et des slogans, étudiants et élèves du monde entier, jusqu’en Afrique du sud, au Kenya, au Sénégal, au Ghana, au Nigeria, et en Ouganda ont organisé des manifestations et des événements la semaine passée pour exiger de leurs gouvernements qu’ils prennent, sans attendre, des décisions courageuses pour contenir la déstabilisation planétaire du climat. Et nul doute que ces mobilisations ardentes vont grandir jusqu’à ce que l’action politique soit enfin à la hauteur. Puisque les chefs d’Etat de la région et les partenaires internationaux sont rassemblés à Accra, ils peuvent commencer par renoncer à promouvoir des simulacres de solutions, et à se retenir de multiplier les promesses dérisoires ; des milliers de citoyens innocents périssent de leur passivité. La fin de l’extraction et de la combustion du charbon africain, puis de toutes les énergies fossiles, ne peut plus attendre. La brutalité du cyclone Idai nous rappelle cruellement, une fois encore, que des millions de vies en dépendent.

Landry Ninteretse est le coordinateur de 350.org pour l’Afrique. 350.org est un mouvement mondial de campagnes sur le changement climatique.

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