Le Danemark replié en son royaume

Le pont de l’Øresund, qui relie le Danemark et la Suède. Photo Gustaf Emanuelsson
Le pont de l’Øresund, qui relie le Danemark et la Suède. Photo Gustaf Emanuelsson

Le Danemark s’isole-t-il de plus en plus via sa politique anti- immigration ? Le 12 avril, Inger Støjberg, sa ministre de l’Immigration et de l’Intégration, annonçait au Jyllands-Posten, un des principaux quotidiens conservateurs du pays, sa volonté de rétablir les contrôles à ses frontières avec la Suède. Cette déclaration survenait peu après l’attentat perpétré à Stockholm par un Ouzbek qui avait vu sa demande d’asile refusée. Objectif du gouvernement : protéger le Danemark de l’éventuel retour d’autres migrants illégaux venant de Suède où ils sont estimés à 12 000, selon les autorités.

Cette décision s’inscrit dans un contexte tendu au Danemark depuis les élections législatives de juin 2015. Face à la montée du parti d’extrême droite Dansk Folkeparti, désormais deuxième force du pays, Inger Støjberg, réputée pour ses nombreuses déclarations provocantes, a durci drastiquement la politique d’immigration danoise pour séduire l’électorat extrémiste. Une stratégie adoptée par de nombreux partis de droite au sein de l’Union européenne pour contrer la percée des extrêmes. Au Danemark, il y a ainsi eu la loi sur la saisie des biens des réfugiés, votée en février 2016, qui prévoyait une confiscation à partir d’une valeur de 10 000 couronnes (1 345 euros), à l’exclusion d’objets ayant une valeur sentimentale. Qualifiée de loi «à la limite des droits de l’homme» et nourrissant «la peur et la xénophobie», selon le Haut Commissariat aux réfugiés, cette disposition a pour principal objectif de jouer un rôle dissuasif.

De son côté, le 4 janvier 2016, la Suède mettait en place les contrôles à ses frontières pour faire face à un afflux de réfugiés jugé trop important. Une décision en rupture avec la politique d’accueil généreuse prônée par le pouvoir depuis les années 50. La fermeture de la frontière suédoise fait du Danemark le pays d’accueil le plus proche, rôle qu’il ne souhaite pas tenir : «Nous ne voulons pas être la destination finale des demandeurs d’asile», a ainsi déclaré la ministre Inger Støjberg, qui ne manque pas de vanter son travail via les réseaux sociaux : le 14 mars, elle a posté une photo d’elle sur Instagram sur laquelle elle porte fièrement un gâteau décoré d’un «50»… pour célébrer la cinquantième mesure de durcissement de la législation sur l’immigration depuis les législatives de 2015.

La Commission européenne validerait-elle le rétablissement des contrôles aux frontières, dans l’hypothèse où ce projet serait effectivement mis en œuvre ? C’est peu probable. La Suède n’a obtenu le droit de les rétablir que dans le contexte de la situation migratoire exceptionnelle de 2015. Il lui sera sans doute bientôt demandé de les lever, conformément aux accords de Schengen, qui prévoient que ce rétablissement exceptionnel ne peut excéder deux ans.

De plus, les conséquences d’un tel événement seraient désastreuses pour l’économie de la région : les contrôles suédois coûtent déjà à eux seuls 70 millions de couronnes suédoises (9,4 millions d’euros) par an, dont la moitié est prise en charge par l’Etat suédois et le restant partagé entre les compagnies ferroviaires danoise (DSB) et suédoise (Skanetrafiken).

Un peu plus tôt dans l’année, la DSB avait d’ailleurs annoncé qu’elle arrêterait son trafic vers la Suède si le projet danois venait à se réaliser. En effet, la mise en place des contrôles suédois a, à ses débuts, causé du tort à la compagnie. Les contrôles, instaurés sans réel investissement, ont causé de nombreux retards et dysfonctionnements du trafic. Une situation qui doit se normaliser avec l’installation d’un nouveau système de contrôles plus sophistiqués permettant aux trains de retrouver la fréquence d’avant contrôle (à savoir un train toutes les dix minutes au lieu d’un toutes les vingt minutes jusqu’à aujourd’hui). Un nouveau point de contrôle assènerait un coup final à un réseau qui peine à s’adapter. Il aura fallu un an aux différentes institutions politiques et économiques pour pouvoir ajuster les contrôles aux réalités locales. Dans l’hypothèse de l’introduction d’un contrôle supplémentaire côté danois, l’Etat saura-t-il tirer les leçons de l’expérience suédoise ?

Les frontaliers sont inquiets : ils sont 8 500, Suédois et Danois confondus, à effectuer quotidiennement des allers-retours sur le pont de l’Øresund pour des motifs professionnels. Depuis la mise en place des contrôles suédois, certains ont déjà changé leurs trajectoires de vie en décidant de démissionner ou de déménager afin de rassembler emploi et vie de famille. Des contrôles supplémentaires risqueraient de sonner la fin du rêve d’intégration pour cette région transfrontalière.

Audrey Delaporte, Institut français de géopolitique (Paris-VIII).

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