Le défi stratégique du partenariat transatlantique

A peine lancé en juillet 2013, le partenariat de commerce et d’investissement transatlantique (Transatlantic Trade and Investment Partnership – TTIP) entre l’Union européenne et les Etats-Unis a commencé à susciter des critiques qui relèvent autant d’un réflexe contre la mondialisation, d’un anti-américanisme latent et d’une méfiance envers des élites transatlantiques, que d’une étude raisonnée des propos émanant de Bruxelles et Washington. Il faut laisser le temps aux négociateurs de développer leurs positions et arriver à des compromis, et éviter que TTIP soit débattu à partir de craintes ou de désinformations, et non sur son fond.

En ce qui concerne les politiques commerciales proprement dites telles qu’elles vont émerger du TTIP, pas grand-chose ne sera connu avant la conclusion des pourparlers, vraisemblablement à la fin de 2015 ou à la mi-2016 au plus tôt. Que ce soit la réduction des tarifs douaniers, la reconnaissance mutuelle des normes et réglementations ou la libération des marchés des services, il faudra du temps pour établir la confiance, même dans cette relation de vieille date entre Américains et Européens, surtout quand un des principaux buts du TTIP est de tracer de nouveaux chemins d’intégration économique par rapport à toute négociation commerciale précédente.

N’en déplaise aux demandes de transparence qui se font entendre des deux côtés de l’Atlantique, ni dans une négociation officielle, ni dans une partie de poker on ne peut s’attendre à ce que les participants montrent leurs cartes en plein milieu du jeu.

Contrairement aux aspects plus techniques du TTIP, où va régner par nécessité une dose d’imprécision pour un certain temps, son importance stratégique est, elle, déjà très claire. Il s’agit en effet de s’assurer que ce sont les principes occidentaux qui vont déterminer les règles du jeu de l’économie mondiale dans sa prochaine phase, où les pays émergents vont jouer un plus grand rôle en raison de leur niveau élevé de croissance, supérieur à celui des Etats-Unis et de l’Europe. Mais ceux-ci, qui représentent toujours la moitié de l’économie mondiale, ont suffisamment de poids à eux deux pour créer des structures que les autres puissances auront du mal à contourner. C’est une tâche géoéconomique du premier ordre.

Divergences fondamentales

Or, il existe des divergences fondamentales entre la vision de la gouvernance économique mondiale à Washington et Bruxelles (ou encore à Tokyo, Mexico, Bogota, et Séoul) d’un côté, et à Pékin ou Moscou de l’autre. D’un côté, des valeurs fondées sur la primauté de l’individu et de l’entreprise privée, de l’autre un système qui s’inspire d’une politique où l’Etat, et les entreprises qui y sont liées, domine. Soyons clairs : ceux qui se réjouissent déjà d’un échec du TTIP devront être prêts à accepter tôt ou tard que ce seront les règles économiques d’inspiration étatique qui vont déterminer les échanges commerciaux mondiaux de l’avenir, et non les celles de l’Occident.

Le brouhaha actuel autour du droit de recours à l’arbitrage pour les investisseurs (Investor-State Dispute Settlement – ISDS) est un signe avant-coureur de ce schisme. Le but de l’ISDS est d’assurer un terrain de jeu égal pour les investisseurs étrangers par rapport aux sociétés nationales. Bien sûr, l’ISDS – qui est un élément clé des principes commerciaux occidentaux fondés sur la promotion de la « Rule of Law », la suprématie du droit – peut être réformé pour barrer la route aux procès frivoles, pour accorder plus d’accès à la société civile, ou encore pour garantir le droit des gouvernements à légiférer dans l’intérêt public.

Mais si les partenaires transatlantiques abandonnent une procédure qui est bien ancrée dans plus de 3 000 traités d’investissement et accords de libre-échange existants, comment inciter la Chine, et d’autres pays où l’indépendance du pouvoir judiciaire est incertaine, à adopter l’ISDS dans ses futurs engagements ?

Les Américains et les Européens devraient se concentrer sur l’essentiel : rien de moins que le renouvellement du système économique international de l’après-guerre pour le monde d’aujourd’hui. Cet impératif global ne devrait pas être un prétexte pour clôturer tout débat ; au contraire, la diversité d’opinion au sein de la famille occidentale sur des questions commerciales ou réglementaires est à saluer, car cela montre sa vitalité et sa tolérance. A condition que ces nuances ne deviennent pas l’arbre qui cache la forêt des valeurs fondamentales et des intérêts stratégiques.

Pour autant, il ne faut pas oublier non plus que le commerce international n’est pas un jeu à somme nulle, mais une compétition – à condition qu’elle soit encadrée par des normes équitables telles que celles qui ont encadré l’économie internationale ces soixante-dix dernières années. Dans leur intérêt mutuel, les Américains et les Européens, avant et après le TTIP, seront de toute façon engagés dans des relations commerciales avec les pays où l’empreinte étatique est forte. Mais il doit être clair que cette compétition entre deux conceptions divergentes de la mondialisation constitue le vrai enjeu du TTIP.

Peter S. Rashish, Transnational Strategy Group à Washington et membre de l’université Johns Hopkins et de l’International Institute for Strategic Studies à Londres.

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