Le dénouement de la guerre oblige le Hezbollah à modérer ses ambitions militaires au Liban

Par Georges Malbrunot, grand reporter au service étranger du Figaro. (LE FIGARO, 08/09/06):

Un Hezbollah populaire, mais appelé à rendre des comptes face à un premier ministre renforcé et une coalition antisyrienne mal en point : la scène politique libanaise se retrouve changée à l'issue du récent conflit face à Israël. Les quatre semaines de guerre entre le Hezbollah et Tsahal ont entraîné au Liban un rééquilibrage des rapports de force entre des acteurs locaux, soucieux désormais de calmer le jeu pour préserver une unité nationale toujours fragile. Si le Hezbollah a résisté militairement à Tsahal, le prix à payer est trop lourd en termes de destruction pour que cette performance puisse se transformer en victoire politique pour le Parti de Dieu.

Pour la moitié des Libanais – 47% exactement selon un récent sondage Ipsos réalisé pour le quotidien L'Orient-le-Jour – leur pays n'a pas gagné la guerre face à Israël, contrairement à ce que claironnent les cadres de la formation chiite.

Loin du triomphalisme de ses troupes, son chef, Cheikh Hassan Nasrallah, affiche désormais un ton relativement conciliant. Dans ses premières déclarations publiques, il reconnaît que s'il avait su que le kidnapping de deux soldats israéliens entraînerait une riposte aussi forte de l'État hébreu, il ne l'aurait pas ordonné. Il promet également de ne pas s'en prendre à la Finul renforcée, lorsque cette Force intérimaire des Nations unies se déploiera au Liban-Sud. Et il assure enfin ne pas vouloir répondre aux dernières «provocations» israéliennes. Nasrallah tient à gommer l'image d'«aventurisme» qui lui a été accolée au début du conflit déclenché face à l'État hébreu.

Qu'il le veuille ou non, le Hezbollah est bridé par la nouvelle donne libanaise. «Le déploiement de l'armée au Liban-Sud rend périlleux le recours aux armes de la part du Hezbollah», estime Patrick Haenni, chercheur de l'International Crisis Group à Beyrouth. En cas de reprise des hostilités avec Tsahal, qui paiera côté libanais ? L'armée, qui serait une cible visible, et non pas le Hezbollah. Exposer de la sorte cette armée placerait le mouvement chiite en contradiction avec ses appels à l'unité nationale et ses troupes n'apparaîtraient plus dès lors comme la pointe de la résistance face à Tsahal. Compte tenu de cette nouvelle donne, à court terme, un deuxième round d'affrontements de part et d'autre de la frontière paraît peu probable. «Le Hezbollah va jouer la carte de la stabilisation, estime un diplomate, il va chercher à engranger les bénéfices de la guerre en attendant les prochaines élections.»

Le mouvement chiite pro-iranien peut se féliciter de voir son désarmement écarté, au moins dans un avenir prévisible. La résolution 1701 de l'ONU, qui a mis un terme aux hostilités, renvoie le règlement de cette question à une entente politique entre Libanais. Et lors de sa récente visite à Beyrouth, Kofi Annan, le secrétaire général de l'ONU, a rappelé que la Finul nouvelle version n'avait pas mandat de désarmer le Hezbollah. Mais à moyen terme, le gouvernement de Fouad Siniora réclamera sans nul doute la poursuite de l'intégration du Parti de Dieu dans les institutions nationales. À cette fin, le premier ministre devrait proposer d'intégrer sa branche militaire dans l'armée régulière : 51% des Libanais y sont favorables, dont 15% de chiites, selon le sondage précité.

Face aux pressions auxquelles tôt ou tard le Hezbollah devra faire face, la formation chiite aura beau jeu de rappeler son refus de baisser la garde tant que l'État hébreu occupe les fermes de Chébaa et que les prisonniers libanais détenus en Israël n'auront pas été libérés. «En menaçant d'éliminer Nasrallah, Israël offre un nouvel alibi au Hezbollah pour qu'il refuse de déposer les armes», ajoute Karim Pakradouni, responsable des ex-Phalanges chrétiennes.

Au plan intérieur, aucun autre parti ni aucune alliance politique ne semblent en mesure de contester sa puissance. Ses rivaux antisyriens, regroupés autour du leader druze Walid Joumblatt et de Saad Hariri, le fils de l'ancien premier ministre assassiné, à la tête du Courant du futur, ne sortent pas vraiment grandis du récent conflit. Ils ont d'ailleurs mis une sourdine à leur exigence de désarmer le Hezbollah, préférant axer leurs critiques contre Israël et la Syrie. Aux premiers jours de la guerre, le duo Hariri-Joumblatt avait commis l'erreur de paraître aux côtés des Américains, lorsque les deux alliés dénonçaient l'«irresponsabilité» du Hezbollah. En disant non à la venue à Beyrouth de Condoleeza Rice, la secrétaire d'État, Fouad Siniora est venue ensuite à leur rescousse. C'est une autre leçon de cette guerre : le premier ministre libanais s'est révélé durant le conflit. «Il a montré des qualités d'homme d'État», constate un autre diplomate occidental. À travers ce dirigeant qui n'est pas un chef de clan – chose rare au Liban – s'est exprimé en fait un réveil de l'unité nationale, matérialisé par l'accueil de milliers de déplaces chiites en zone chrétienne.

Un Hezbollah appelé à rendre des comptes, une coalition antisyrienne mal en point : «Un nouvel équilibre des faiblesses a émergé de la guerre, qui pousse tout le monde à se parler», constate Patrick Haenni. «Une chance à saisir», poursuit le politologue Ziad Majed. Mais l'un et l'autre tempèrent cet optimisme en rappelant les «calculs» de l'Iran et de la Syrie. Les deux parrains du Hezbollah pourraient exploiter les ambiguïtés de la formation chiite sur son désarmement, comme le remarque sans vergogne un de ses cadres, «on reste, on disparaît», sous-entendu : «On garde nos armes, mais on les cache.» Le Hezbollah va-t-il finalement poursuivre sa «libanisation» pour se détacher de l'axe Téhéran-Damas ? La réponse à cette question permettra de dire si le conflit qui a ensanglanté le pays du Cèdre a, malgré tout, apporté quelque bienfait aux institutions libanaises.