Le dérèglement climatique, une dernière chance pour l’humanité

Alors que les fureurs du terrorisme global continuent d’embraser la planète, conduisant vers une véritable guerre civile mondiale, on en vient à se demander si le dérèglement climatique ne serait pas une chance pour l’humanité. Une chance (en espérant que ce ne sera pas la dernière) si ce dérèglement fait naître en temps utile un sentiment de responsabilité. En effet, la mobilisation exceptionnelle des diverses composantes de la société en faveur du climat semble exprimer, partout dans le monde, la peur d’un danger mais aussi la conscience d’un destin commun et la volonté de le prendre en charge.

Une telle mobilisation invite à penser que le moment est venu de franchir une nouvelle étape. Alors que les peuples, unis par leur histoire, se sont constitués autour de déclarations d’indépendance, les habitants de la Terre, unis par un même désir d’avenir, devraient fonder leur communauté de destin sur leurs interdépendances.

Les humains doivent anticiper les dommages s’ils veulent survivre

Ce n’est sans doute pas un hasard si, comme en 1789 ou en 1948, des projets de déclarations ont fleuri de toutes parts. Les unes posent une Déclaration universelle d’interdépendance (Collegium international, 2005); ou un Appel vers une gouvernance mondiale solidaire et responsable (Collegium International, 2014); les autres une «Déclaration universelle des Droits de l’humanité» (rapport Lepage): voire une «Déclaration universelle des responsabilités humaines» (fondation Leopold Mayer). On observe néanmoins trois points de convergence.

Premièrement le constat des interdépendances: au sommet de la Terre (Rio, 1992), les Etats proclamèrent que «La Terre, foyer de l’humanité forme un tout marqué par l’interdépendance». Depuis lors les interdépendances n’ont cessé de se développer, avec leur cortège de risques. Entre groupes humains, étatiques ou non étatiques, elles entraînent à la fois des violences intentionnelles (criminelles et guerrières) et des risques involontaires (écologiques, sociaux, sanitaires, financiers etc.).

En revanche entre les humains et l’écosystème auquel ils appartiennent, la relation fut longtemps de dépendance: face aux risques naturels, les humains se contentaient de réparer les dommages et tentaient à grand-peine de les prédire voire de les réduire. Désormais ils doivent anticiper pour les prévenir s’ils veulent survivre.

L’humanité, une force de la nature qui pourrait menacer les générations futures

Deuxièmement le principe de solidarité: les progrès technologiques, en pleine accélération, ont renforcé les violences intentionnelles qui pourraient devenir des armes de déshumanisation massive. Simultanément le développement économique et démographique qui accompagne les nouvelles technologies fait de l’humanité une véritable force de la nature qui pourrait menacer la survie des générations futures, voire de la planète. C’est pourquoi il revient aux humains, «doués de raison et de conscience» selon la Déclaration universelle des droits de l’homme, de transformer les interdépendances subies en un principe de solidarité planétaire.

En votant à l’unanimité le 20 novembre 2015 la résolution 2249 qui autorise la France à prendre des mesures nécessaires pour lutter contre l’organisation «Etat islamique», le Conseil de sécurité des Nations unies aurait pu annoncer une nouvelle conception de la souveraineté, solidaire et non plus solitaire, face au terrorisme global. Mais les Etats se sont aussitôt refermés sur une souveraineté limitée à la seule défense des intérêts nationaux, chacun choisissant «son» ennemi et menant «sa» guerre.

La question est toujours: qui est en charge des biens communs mondiaux?

Dans le contexte actuel de tension extrême, la COP 21 a-t-elle amorcé le grand tournant que l’on attendait? Car il devient évident que face aux interdépendances croissantes, la solidarité s’impose, qu’il s’agisse de lutter contre le terrorisme sans frontière, de réduire les dérèglements climatiques, ou plus largement de relever les autres défis liés à la globalisation, des crises financières aux désastres liés aux conditions de travail ou au traitement des déchets toxiques, sans oublier – le plus grave sans doute – le drame humanitaire des migrations. La question est la même: qui est en charge de la défense des biens communs mondiaux?

Certains, comme Nicolas Hulot, ont proposé de créer une organisation mondiale chargée de l’ensemble des «biens communs de l’humanité». L’idée peut sembler utopique car, même limitée à une organisation mondiale de l’environnement, elle a toujours été écartée. En tout cas elle a le mérite d’attirer l’attention sur l’ensemble de ces biens de première nécessité (pour l’humanité et pour l’ensemble du monde vivant) que sont une paix durable et une terre habitable. Il serait en effet urgent de réinventer la fonction, décrite par Danoura Liberski-Bagnoud (à propos des anciens systèmes rituels des peuples du bassin de la Haute Volta) des «gardiens de la Terre»: ils n’étaient pas des propriétaires mais des garants, ceux qui veillent au respect des interdits et à l’observance des rites.

Une paix durable et un monde habitable sont des biens communs mondiaux

Une telle fonction tiendrait sa légitimité politiquement du choix et du statut de ces gardiens au sein des organisations internationales et juridiquement de la définition de cette notion de biens communs. L’efficacité dépendrait des instruments juridiques permettant d’engager la coresponsabilité de tous les acteurs de la mondialisation.

En ce qui concerne, en troisième lieu, la coresponsabilité des acteurs exerçant un pouvoir à l’échelle globale, la mise en œuvre de l’Accord de Paris est l’occasion de tester la faisabilité de nombreuses propositions de la société civile.

Par exemple, dans nos Douze propositions sur le climat, nous avions suggéré plusieurs voies pour responsabiliser les Etats et rendre opérationnel le principe des «responsabilités communes mais différenciées» en précisant les objectifs communs d’anticipation et les critères de différenciation (historiques, économiques, sociaux, etc.). En outre, le poids économique des entreprises transnationales appelle à renforcer l’efficacité de leurs engagements volontaires, pris au titre de la «responsabilité sociale et environnementale des entreprises», en instaurant des procédures d’identification des responsables (entre société mère, filiales et sous-traitants), de mise en conformité et de sanction en cas d’échec. Il faudra reconnaître la place des autres acteurs (ONG et syndicats, collectivités territoriales, experts scientifiques, lanceurs d’alerte) et leur responsabilité comme citoyens du monde.

Il restera à transposer la méthode à l’ensemble des «biens communs mondiaux» que sont une paix durable et un monde habitable. Impossible, dira-t-on. Alors soyons réalistes et proposons l’impossible pour réaliser tout le possible!

Par la juriste Mireille Delmas-Marty, du Collegium International, professeur émérite au Collège de France, membre de l’Institut de France

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