Le développement d’un tourisme non religieux en Arabie Saoudite prendra certainement du temps

Le projet de l’Arabie saoudite pour Al-Ula (dans le nord-ouest du pays), un parc naturel, touristique, archéologique et culturel de la superficie de la Belgique censé attirer entre 1,5 et 2 millions de touristes, illustre la volonté du royaume de développer le tourisme non religieux sur son territoire. Cet objectif ne peut néanmoins manquer de soulever certaines interrogations, notamment par rapport au choc culturel entre les Saoudiens et les futurs touristes.

En octobre 2017, le royaume a affiché son souhait d’une ouverture touristique maîtrisée, avec l’annonce de la délivrance de visas de tourisme. C’est une première dans un pays où les permis d’entrée étaient jusque-là délivrés soit aux pèlerins effectuant le grand ou le petit pèlerinage à La Mecque, soit dans le cadre saoudien de la « kafala », c’est-à-dire l’enregistrement par un « kafil » (une personne garante, obligatoirement de nationalité saoudienne), ou par une entreprise ou un organisme officiel.

La délivrance de visas touristiques fait partie du programme Vision 2030 mis en place par le prince héritier Mohammed Ben Salman (« MBS ») dans le but de diversifier l’économie du royaume, et donc d’atténuer sa dépendance au pétrole ainsi que son image de pays ultraconservateur.

Une société traditionnellement conservatrice

Cette annonce initiale a été suivie en novembre 2017 par l’octroi des premières licences aux agences de voyage habilitées du royaume, puis la notification de la période de délivrance des premiers visas effectifs. L’Arabie saoudite a ensuite apporté des précisions quant à la disponibilité des visas pour les femmes et la liste des pays éligibles, communiquée en 2018.

Une équipe constituée de représentants du ministère de l’intérieur, des affaires étrangères et de la Commission saoudienne du tourisme et du patrimoine national, créée en 2000 et présidée par le prince Sultan Ben Salman – ancien astronaute et demi-frère du prince héritier –, a ainsi travaillé sur un certain nombre de points censés être respectés par les agences de voyage locales accréditées par le gouvernement ainsi que par les touristes qui devront s’engager à se conformer aux traditions locales et aux valeurs islamiques du royaume durant leur séjour.

Le choc culturel promet en effet d’être important pour une société saoudienne traditionnellement conservatrice et peu préparée à recevoir des visiteurs qui ne viendraient pas exclusivement pour le pèlerinage, comme c’est le cas des quelque 8 millions de pèlerins qui se rendent en Arabie saoudite chaque année et que Riyad voudrait faire passer à 30 millions.

Rappelons que le tourisme religieux dans son ensemble représente, avec près de 20 milliards de dollars (17,5 milliards d’euros) de recettes dont 12 milliards pour les deux pèlerinages (et un revenu annuel des seules fêtes du Hajj avoisinant 6 milliards de dollars), la deuxième source de revenus du royaume derrière le pétrole. L’activité touristique, aujourd’hui essentiellement à caractère religieux, représentait déjà 3,3 % du PIB en 2017, et emploierait 600 000 personnes, selon une étude du World Travel and Tourism Council.

L’objectif assumé de diversifier ces revenus en développant un tourisme non religieux ne peut manquer de soulever certaines interrogations, notamment en termes vestimentaires, particulièrement pour les femmes. Et ce d’autant plus que les touristes de sexe féminin âgées de moins de 25 ans devront d’être accompagnées par au moins un membre de leur famille, ce qui renvoie à l’obligation de présence du mahram (« tuteur ») toujours en vigueur dans le royaume, qui fait des femmes des mineures.

Autre bémol à cette ouverture affichée mais qui demeure limitée, les itinéraires ne pourront pas inclure des visites de La Mecque et de Médine, considérées comme espaces sacrés et qui demeurent interdites aux non-musulmans. C’est dire que le développement d’un tourisme non religieux international, qui constitue sans aucun doute un réel capital pour le royaume en termes de recettes économiques, prendra certainement du temps…

Par David Rigoulet-Roze, chercheur rattaché à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et rédacteur en chef de la revue « Orients Stratégiques ».

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