Le droit à l’autodétermination n’implique pas nécessairement celui à l’indépendance

Le droit à l’autodétermination, reconnu par les Nations unies et le droit international, n’implique pas nécessairement celui à l’indépendance. Amorcé après la première guerre mondiale avec le démantèlement des grands empires européens multinationaux – Autriche-Hongrie et Empire ottoman –, ce droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a été rappelé dès l’article premier de la Charte de l’ONU, en 1945, puis institutionnalisé dans les années 1960 lors de la grande vague des décolonisations. Mais les Nations unies, en même temps, n’ont cessé de rappeler le principe fondateur du droit international public : celui des Etats à préserver leur intégrité territoriale.

« Le droit à l’autodétermination pose surtout beaucoup de questions aussi bien sur sa nature que sur la manière dont il s’exerce et sur la définition même du peuple consulté », souligne Serge Sur, professeur émérite de droit international à l’université Panthéon-Assas et rédacteur en chef de la revue Questions internationales. Les projets d’indépendance proclamés unilatéralement en Catalogne et au Kurdistan irakien ont remis la question sur le devant de la scène. Les partisans les plus déterminées des Etats unitaires, comme, à l’opposé, les indépendantistes les plus durs, oublient le caractère pour le moins nuancé de ces règles au regard du droit international.

La résolution 1514 de l’ONU, intitulée « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux » et votée en 1960 par l’Assemblée générale, proclamait le droit « de tous les peuples à déterminer librement leur statut politique » ainsi que « leur développement économique social et culturel ». Mais le texte précisait, en son article 6, que « toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations unies ».

Les concepteurs du texte différenciaient la métropole des colonies, « territoires non autonomes », dont l’ONU dressa la liste. Le caractère universel du droit à l’autodétermination fut spécifié dans des textes ultérieurs, dont le pacte international relatif aux droits civils et politiques (décembre 1966). Mais, face au risque de morcellement infini des Etats, l’ONU rappela, dans la Déclaration des droits des peuples autochtones (2007), que le droit à l’autodétermination ne signifiait pas un droit à la sécession. Sauf pour un peuple victime d’une oppression féroce.

L’intégrité des Etats

En 1970, une Déclaration sur les relations amicales entre les Etats de l’ONU spécifiait que rien n’autorise la remise en cause de l’intégrité des Etats ayant « un gouvernement respectant la population entière du territoire sans distinction de race, de croyance ou de couleur ». A contrario, l’intégrité peut être contestée si ces normes ne sont pas respectées. Un an plus tard, la séparation du Pakistan oriental, se proclamant indépendant sous le nom de Bangladesh, qui fut marquée par une répression sauvage – plus de 3 millions de morts et dix millions de déplacés –, créa le précédent. Ce fut l’un des arguments utilisés pour justifier l’indépendance du Kosovo en 2008 ou du Soudan du Sud en 2011.

Même en Europe, les frontières ne sont pas immuables. Près la moitié des Etats ayant adhéré à l’Union européenne depuis 2004 n’existaient pas vingt ans plus tôt. D’où l’immense prudence de Bruxelles. « La vraie question n’est pas tant celle de la proclamation de l’indépendance que celle de sa reconnaissance par l’autre », explique M. Sur. Il n’y a pas de problème lors de séparations à l’amiable, comme celle de la République tchèque et de la Slovaquie. Mais les indépendances furent le plus souvent proclamées unilatéralement.

Caractère exceptionnel

Annexés de force par l’URSS en 1945, les pays baltes arrachèrent par d’immenses manifestations pacifiques – violemment réprimées – le retour de leur indépendance, finalement acté par Moscou en 1990-1991. L’éclatement de la Yougoslavie fut encore plus traumatique, avec les référendums d’indépendance de la Slovénie et de la Croatie s’appuyant sur une disposition reconnaissant aux Républiques constitutives de la Yougoslavie fédérale un droit à la sécession rejeté par Belgrade. Berlin reconnut Zagreb et Ljubljana, alors que Paris traînait les pieds.

Une commission présidée par Robert Badinter fixa des critères pour les indépendances des autres ex-Républiques yougoslaves, ce qui n’empêcha pas Belgrade de passer à l’offensive. Le processus s’acheva par l’indépendance du Monténégro, votée en 2006 par référendum, avec une barre fixée à 55 % sur le conseil des Européens.

Région autonome du sud de la Serbie peuplée à 90 % d’Albanais de souche, le Kosovo fut, à bien des égards, emblématique. Jusqu’au bout, Belgrade a refusé son droit à l’indépendance, arguant de raisons historiques – le considérant comme berceau de la nation serbe – et juridiques – il ne s’agissait pas d’une République constitutive. L’intervention de l’OTAN, en 1999, puis l’instauration d’un protectorat international sous tutelle de l’ONU aboutirent à une proclamation unilatérale de l’indépendance, le 17 février 2008, alors que la résolution onusienne était floue.

Washington, Londres, Paris, Berlin et nombre de pays occidentaux l’ont reconnu, mais une partie des Européens, dont l’Espagne et surtout ses voisins, s’y refusèrent. Belgrade, avec le soutien de 77 Etats membres de l’ONU, saisit deux ans plus tard la Cour internationale de justice pour un « avis ». Elle estima que « la déclaration d’indépendance du Kosovo n’a pas violé le droit international », tout en relevant son caractère exceptionnel, se gardant bien de trancher sur le fond et de valider un quelconque droit à la sécession. L’autodétermination reste avant tout une affaire de circonstances et de rapport de force.

Par Marc Semo, journaliste.

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